L’Europe, à travers la DCE, considère à juste titre que la lutte contre les pollutions chimiques est une priorité pour reconquérir la qualité des eaux européennes. En effet, la situation des cours d’eau se trouve de plus en plus menacée par ces pollutions généralement d’origine agricole ou industrielle. Elles constituent la cause principale de la dégradation de la qualité des eaux et du déclin des populations aquatiques. Or, la politique française accorde une place fondamentale à la restauration de la continuité écologique des cours d’eau pour atteindre le bon état en 2015. La prise en compte de ce paramètre est secondaire au regard des véritables menaces qui guettent nos cours d’eau. Il est alors établi que la France a fait le mauvais choix en termes de priorité. Cependant, ce mauvais choix n’est pas la seule raison du risque de non atteinte des objectifs européens. Effectivement, la mise en œuvre de la restauration de la continuité écologique elle-même présente un certain nombre d’insuffisances.

I – Incohérences et carence démocratique

La restauration de la continuité écologique à l’échelle nationale a nécessité un certain nombre d’adaptations et d’innovations pour garantir l’efficacité de sa mise en œuvre. Ceci s’est traduit par une importante inflation règlementaire. En effet, les textes règlementaires se sont multipliés pour garantir efficacement la libre circulation piscicole et le transport naturel des sédiments. Cependant, aujourd’hui il résulte de cette multiplicité de textes, quelques difficultés. L’articulation et la cohérence entre les différents instruments deviennent de plus en plus complexes, conduisant ainsi à des contradictions qui décrédibilisent l’efficacité des actions menées par la politique de l’eau. La Cour des comptes l’a d’ailleurs souligné dans son rapport annuel publié en 2010 : « l’Etat peine encore à optimiser l’articulation des instruments règlementaires ». Par exemple, les préfets de département fixent par arrêté préfectoral l’interdiction de lever les vannages des moulins pour cause d’étiage, pour ainsi préserver la ressource en eau et les milieux aquatiques. De l’autre côté, le classement des cours d’eau prévoit pour certains ouvrages, l’ouverture des vannes afin d’assurer la reconquête de la continuité écologique. Cet exemple démontre l’incohérence totale de la politique de l’eau en France.

D’autre part, certains de ces instruments règlementaires présentent quelques lacunes et incohérences pouvant compromettre leur efficacité. C’est le cas notamment de l’instrument de classement des cours d’eau. Ce dernier vise à réduire particulièrement les impacts des ouvrages hydrauliques sur les cours d’eau et leur population piscicole, pour contribuer à l’atteinte du bon état. L’association pour la prévention des pollutions industrielles et la protection de l’environnement Rhône Moyen (APRIM) a publié en janvier dernier, une critique de la nouvelle procédure de classement des cours d’eau. Celle-ci dénonce particulièrement les conditions de sa mise en œuvre. En premier lieu, elle considère que les règles de l’article L 214-17 du code de l’environnement, relatives au classement des cours d’eau, ont été « définies arbitrairement, de façon opaque et autoritaire ». En effet, le classement vise particulièrement les propriétaires contraints de mettre aux normes leurs ouvrages hydrauliques. Cette mise aux normes est la plus part du temps accompagnée de pressions exercées par l’administration qui s’est engagée dans une véritable course contre la montre pour atteindre l’objectif de bon état en 2015. Cette situation génère un certain nombre de discordes avec les propriétaires d’ouvrage souvent très peu associés à l’établissement de ces listes, et confrontés à des situations imprévues qu’ils doivent résoudre dans des délais très courts. Ces difficultés ont d’ailleurs été mises en exergue en 2012 par la CGEDD, dans un rapport de diagnostic de la mise en œuvre de la continuité écologique. Elles confirment qu’il existe au sein de la mise en œuvre de la procédure de classement, une carence démocratique. Cette carence s’exerce au détriment des propriétaires de moulins, très peu informés et très peu concertés par les autorités en charge de l’eau. Ces pratiques constituent un manquement manifeste au respect des principes de la Convention d’ Aarhus, laquelle garantie le droit d’être informé, concerté et de participer activement au processus décisionnel en matière d’environnement.
En second lieu, la circulaire DCE 2008/25 relative aux classements des cours d’eau prévoit que « le gain écologique doit être vérifié au regard du diagnostic de la continuité des habitats. Si ce gain est faible ou inexistant, le déclassement doit être la suite logique ». En d’autres termes, il découle de cette exigence que le préfet coordonateur de bassin est tenu de justifier le classement des cours d’eau au regard d’un gain écologique remarquable. Cependant, il a été constaté au sein de nombreux bassins (Loire-Bretagne par exemple) le non respect de cette condition. Ce constat permet d’attester que la politique française de l’eau engage des actions en faveur de la continuité écologique, sans avoir les connaissances suffisantes sur le bénéfice écologique.

II – Insuffisances des données sur l’eau

Par ailleurs, la place excessive accordée à la restauration de la continuité écologique a conduit la France à laisser de côté l’évaluation de l’état chimique et écologique des cours d’eau. Les efforts de celle-ci pour répondre aux exigences de la DCE ont été considérés comme étant très décevants. En 2012, le Commissariat général au développement durable du ministère de l’écologie affirme que l’Allemagne a évalué l’état chimique de 96,5 pour cent de ses masses d’eau et que cinq autres Etats ont déjà atteint les 100 pour cent. La France, elle, n’a évalué l’état chimique que 2/3 de ses masses d’eau.
La Commission européenne dans son rapport publié en 2012 dénonce les défaillances de la politique française de l’eau au regard de l’insuffisance des données et de la surveillance des eaux de surfaces. Effectivement, un an et demi avant l’expiration du délai fixé par la DCE, la France n’est toujours pas capable de fournir la totalité des mesures chimiques et écologiques de l’ensemble de ses masses d’eau. L’impossibilité de produire ces mesures pose de nombreux problèmes, elle ne permet pas à la France de mettre en œuvre des actions pour atteindre une qualité suffisante de l’ensemble des cours d’eau. En effet, seule une évaluation complète de l’état des masses d’eau permet d’agir efficacement sur les causes de dégradation. Dans ce contexte, la Cour des comptes doute sérieusement de la capacité de la France à atteindre l’objectif fixé par la DCE. Il est nécessaire de souligner que celle-ci ne peut pas prétendre agir en faveur du bon état, alors qu’elle méconnait la situation d’une grande partie de ces cours d’eau. C’est pourtant ce qu’elle affirme clairement.

En revanche, il faut mettre en évidence le fait que les lacunes de la politique française de l’eau sont antérieures à la mise en œuvre de la DCE. Effectivement, selon Michel Lesage, député des côtes d’Armor, « le modèle français de gestion de l’eau s’il a permis des avancés, il a aujourd’hui atteint ses limites ». Dans son rapport d’évaluation de la politique de l’eau, il explique le problème d’une organisation institutionnelle morcelée. Dans le domaine de l’eau, un grand nombre d’acteurs interviennent à différentes échelles géographiques pour assurer le pilotage efficace de la politique de l’eau. Il existe alors de multiples structures composées d’acteurs, dont les compétences sont variables. De cette situation, découle des difficultés de communication et de coordinations entre les différentes structures. Elle a également pour conséquence de diluer les responsabilités de chacun, un problème pour la mise en œuvre effective de la DCE.

La capacité de la France à atteindre le bon état en 2015, est non seulement remis en cause par des leviers règlementaires inopérants, mais également par des leviers financiers inefficaces.