I Le Protocole en débat devant les instances européennes

Au terme de ce processus de réflexion interne, la Commission européenne a déposé deux propositions de textes le 5 et le 4 octobre 2012, tendant à la mise en œuvre du protocole de Nagoya au niveau européen :
• une « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation dans l’Union » (A).
• une « proposition de décision du Conseil concernant la conclusion du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique » (B).

Ces deux textes ont été respectivement soumis au Conseil et au Parlement européen.

A) Le projet de règlement sur l'accès aux ressources génétiques et au partage des
avantages

Un règlement est un acte législatif obligatoire dans toutes ses dispositions: il est directement applicable dans l’ordre juridique des États membres, qui sont tenus de les mettre en œuvre tels quels, sans en limiter les effets juridiques mais sans aller au-delà de ce qui est enjoint. Il est en outre, de portée générale. Par conséquent, le Protocole de Nagoya dès son entrée en vigueur sera directement imposable aux particuliers, personnes physiques ou morales ainsi qu’aux Etats Membres.

Au Parlement européen, outre la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, saisie au fond, la proposition de règlement devrait être examinée pour avis, par trois commissions : développement, agriculture et développement rural et pêche. Les commissions développements régionaux et industrie, recherche et énergie ayant décidé de ne pas donner d’avis. Le Parlement européen a débuté en avril 2013 l'examen du projet de règlement sur l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages découlant de leur utilisation, afin d'achever la transcription du Protocole de Nagoya en droit européen. Ce règlement devrait être adopté d’ici fin octobre 2013. Cette étape cruciale sera non seulement le préalable indispensable à la ratification et à l’entrée en vigueur du Protocole dans l’UE et dans ses États membres, mais enverra aussi un signal important aux autres pays quant au sérieux de ses intentions de tenir les engagements pris à Nagoya.

B) La proposition de décision portant ratification du Protocole de Nagoya

Une décision est un acte juridique non législatif. Comme le règlement, elle est obligatoire dans toutes ses dispositions et applicable directement, sans qu’il soit nécessaire de la transposer dans le droit national. Elle se distingue du règlement en ce qu’elle n’est pas un texte à portée générale: elle ne s’applique qu’à des destinataires cités expressément. L’article 218 alinéa 6 du TFUE dispose que : « Le Conseil […] adopte une décision portant conclusion », c’est-à-dire ratification des accords internationaux dont l’Union est signataire. Une fois le règlement sur l’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages adopté, le Conseil adoptera la décision ratifiant le Protocole de Nagoya.

Dans le communiqué final de la réunion du 25 octobre 2012 du Conseil de l’Union Européenne dans sa formation environnement, il est indiqué que les ministres ont « pris connaissance des informations communiquées par la Commission » au sujet de la proposition de règlement, ajoutant que le date de son entrée en vigueur « devrait être étroitement liée à celle de l’entrée en vigueur du protocole de Nagoya, et ce afin de garantir des conditions équitables tant au niveau mondial qu’au niveau de l’Union ». En effet, au niveau international, l’objectif 16 du Plan Stratégique de la CDB adopté en octobre 2010, prévoit que le Protocole de Nagoya soit en vigueur et opérationnel d’ici 2015. Par conséquent, l’objectif de la Commission européenne est d’aboutir au plus tard à l’été 2014, afin de pouvoir participer aux discussions entre les parties pour assurer la mise en œuvre du protocole. La rapporteur au fond sur les deux textes, Sandrine Bélier a insisté sur la responsabilité pesant sur l’Union européenne qui par l’adoption de ce texte pourrait mettre en place un mécanisme pouvant mettre fin à la biopiraterie, adopter un système plus équitable favorable aux populations détentrices des ressources naturelles et préserver la biodiversité.

II La ratification du Protocole de Nagoya par l'Union Européenne : de nouvelles perspectives d'évolution

La ratification du Protocole de Nagoya permettra une avancée dans la lutte contre la biopiraterie (A). Des rapports complémentaires permettent également actuellement, de mettre en exergue les enjeux et l’importance de combattre la biopiraterie (B).

A) L’adoption du Protocole de Nagoya: une avancée dans la lutte contre la biopiraterie

L'eurodéputée Sandrine Bélier porte dans le règlement européen une définition du délit de biopiraterie afin qu'il soit considéré comme une infraction passible de sanctions et créer ainsi une base juridique inédite là où règne le vide. La biopiraterie serait ainsi défini comme « consistant soit de l'extraction non autorisée ou de l'utilisation non autorisée ou de la commercialisation ultérieure non autorisée de produits basés sur ces ressources ou issus de savoirs traditionnels associés devra être interdite et passible de sanctions pénales ». Le renforcement des points de contrôle lors de la demande d'autorisation de mise sur le marché et lorsqu'un crédit de recherche, public ou privé, est accordé ainsi qu’une vérification auprès des autorités compétentes lors de la demande de brevet (via les offices de brevet nationaux et l'office européen des brevets) et un suivi systématisé en amont devrait être mis en place avec l’adoption de ce règlement. Ce qui « garantira d'éviter la sanction en fin de processus comme, par exemple, le refus de mise sur le marché à une entreprise qui aurait investi des moyens conséquents en recherche développement mais qui aurait utilisé une ressource génétique sans y être autorisée ». Parallèlement, une plateforme européenne sera créée, réunissant les États membres, la Commission européenne et les parties intéressées pour débattre des questions relatives à l’accès aux ressources génétiques, pratiquer des échanges d’expériences et partager les bonnes pratiques. Cette structure devrait contribuer à réduire les écarts entre les systèmes mis en place par les États membres. Les utilisateurs pourront identifier les États membres disposant des systèmes les plus performants en matière d’accès.

Le principe de « bonne diligence » de l'ensemble des acteurs est également fortement mis en avant par le projet de Règlement. Ce dernier précise que « la diligence raisonnée exige que les utilisateurs entament toutes les démarches nécessaires pour se mettre en conformité avec la législation proposée renforcé par une interdiction de la biopiraterie afin d'instaurer progressivement un effet dissuasif efficace. C'est l'association de ces deux outils qui permettra de renforcer la fiabilité et la fluidité des mécanismes d'accès et de partage des avantages ». Depuis plus d’une dizaine d’années, dans une double optique de protection environnementale de son propre territoire et de contribution à l’effort global en faveur des équilibres écologiques planétaires, l’Union Européenne s’attache à conduire une politique en faveur du développement durable, incluant les aspects biodiversité, plus particulièrement la question de la gestion des ressources génétiques. Sa stratégie sectorielle « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capitale naturel » - participant à la stratégie Europe 2020 -, qu’elle a adopté, le 3 mai 2011, en vue de conserver et d’améliorer l’état de la biodiversité d’ici à 2020, fixe ainsi comme objectif de « réglementer l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation », ce qui passe par la ratification et la mise en oeuvre du Protocole de Nagoya. Enfin, bien que la ratification par l’Union Européenne et ses Etats membres ne suffise pas à mettre un coup d’arrêt à la « biopiraterie », elle sonnerait comme un signal international fort en faveur d’une régulation universelle de l’APA.

B) Des rapports engageant l’Europe sur la voie de la lutte contre la biopiraterie

1) Le rapport sur les aspects des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques

Parallèlement à la démarche législative, la député Catherine Grèze, a présenté le 18 septembre 2012 devant la commission du développement du Parlement européen un projet de rapport sur une procédure d’initiative législative portant sur « les aspects relatifs au développement des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques: conséquences pour la réduction de la pauvreté dans les pays en développement ». Il propose un certain nombre de mesures pour aider les pays en développement à bénéficier de leurs ressources génétiques et de leurs savoirs traditionnels, comme le soutien à la création par ces pays des institutions nécessaires. Il demande l'adoption par l'UE et ses Etats-membres du protocole de Nagoya afin que les bénéfices issus des ressources génétiques soient partagés de manière équitable. Il réclame également qu’un nouveau cadre juridique pour l'octroi des brevets, obligeant à divulguer l'origine des composants du produit pour qu'il puisse être breveté, ainsi que la preuve que ces ingrédients ont été acquis d'une manière équitable et légale.

Le 15 janvier 2013, le parlement européen a adopté la résolution sur les aspects relatifs au développement des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et ses conséquences pour la réduction de la pauvreté dans les pays en développement visant à renforcer la lutte contre la biopiraterie.

2) Le rapport de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale

Le 4 décembre 2012, la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale rendait public un rapport sur la ratification et la mise en oeuvre du protocole de Nagoya sur la diversité biologique, intitulé « L’Europe s’engage dans la lutte contre la “biopiraterie ». Présenté par la députée Danielle Auroi, ce rapport engage l’Europe dans la voie d’une application effective et d’un approfondissement des accords de Nagoya en matière de lutte contre la biopiraterie et de protection de la biodiversité. Ce rapport d’information s’attache à décrire les enjeux entourant les questions de biopiraterie et le cadre légal existant autour de la protection des ressources génétiques tel que l’effectivité de la Convention sur la Diversité Biologique ainsi que le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Dans sa recommandation 14, il est proposé que le Parlement européen : « souligne que les objectifs de la Convention sur la diversité biologique ne seront atteints qu’à condition de parvenir à un partage juste et équitable des avantages » ; « demande instamment à l’Union européenne et à ses États membres d’appeler à une ratification rapide du protocole de Nagoya afin de lutter contre la biopiraterie et de rétablir la justice et l’équité dans l’échange de ressources génétiques »; « souligne le rôle de la coopération au développement de l’Union pour proposer aux pays en développement une aide concernant le renforcement des capacités juridiques et institutionnelles sur les questions d’accès et de partage des avantages ».

Enfin, le rapport insiste sur les processus législatifs en cours aux niveaux français et européen. Ce rapport d’information a été élaboré au terme d’un court cycle d’auditions, comporte une série de recommandations ayant vocation à être intégrées dans les négociations communautaires à venir: d’une part en vue d’encourager la ratification du protocole de Nagoya par l’Union européenne comme par ses États membres; D’autre part dans le souci d’améliorer le contenu de la proposition de règlement, au regard de la situation spécifique de la France mais aussi de la nécessité de protéger efficacement les droits des pays du Sud ainsi que de leurs communautés autochtones. Il doit être considéré comme un travail d’étape. On constate donc que le Protocole de Nagoya ne doit pas être considéré comme la panacée de la lutte contre la biopiraterie. L’efficacité de la mise en oeuvre du protocole d'APA dépendra de la détermination des parties signataires à intégrer le plus rapidement dans leur droit des dispositions contraignantes pour les utilisateurs ressortissantes de leur juridiction.