
LE RISQUE "EXPÉRIMENTATION ANIMALE"
Par David MAIA
Ingenieur Sécurité
Cofely GDF-SUEZ
Posté le: 16/09/2013 22:31
L'expérimentation animale constitue un moyen de faire avancer la recherche médicale et scientifique. Elle pose, cependant, un certains nombre de problèmes. Parmi ces derniers, retenons qu'elle est un vecteur de risque. Mais qu'en est-il de ce risque? Le but de cet article est de proposer quelques lumières vis-à -vis du risque lié à l'expérimentation animale tout en précisant le cadre juridique spécifique à ces expérimentations et en passant en revue les différentes méthodes alternatives.
Caractéristiques du risque
Le risque, ici étudié, est triple. Il correspond en premier lieu à un risque encouru par des animaux
sous l'action de l'homme. En effet, les animaux de laboratoire sont potentiellement soumis à d'importants risques pour leur santé et leur bien être, liés aux expériences qui sont réalisées sur eux et aux conditions de leur captivité (hygiène, espace, respect de leurs besoins naturels). D'autant que le recours à l'animal n'est pas toujours justifié et n'offre pas forcément les résultats attendus.
Il correspond, par ailleurs à un risque de remise en cause de l'efficacité des résultats
expérimentaux (ces derniers peuvent être faussés par le niveau de stress ou de douleur ressenti par
l'animal au moment de l'expérience).
En outre, il correspond à un risque de déshumanisation de la science. En effet, le fait en soi
d'exploiter des animaux au nom de la science pose un certains nombre de problèmes éthiques. Qui
sommes-nous pour disposer de la vie d'un autre être dans un but non nécessaire à notre propre
survie? Où est la frontière qui sépare les animaux à intelligence et sensibilité limitées des autres? La
classification des animaux est-elle légitime? L'expérimentation animale n'est-elle pas le premier pas
vers des dérives scientifiques potentiellement plus graves (expériences humaines)?
Enfin, ces expérimentations posent un problème sanitaire de par la transmission potentielle de
virus initialement étrangers à l'espèce humaine (soupçons de certaines personnalités scientifique
sur l'apparition du SIDA ou sur l'apparition de virus suite à des expériences en vue de combattre une
autre maladie...) et de part la sensibilité potentielle des personnels impliqués aux allergies et
accidents de laboratoire (exposition à des substances dangereuses, accidents de manipulation...).
Débats autour de ce risque
Au sujet de l'expérimentation animale, les avis sont partagés. En effet, certains mettent en avant le
fait que ces expériences sont indispensables à la compréhension de nombreux phénomènes,
notamment en médecine humaine.
D'un autre côté, d'autres s'interrogent sur la portée réelle de ces expériences. En effet, certains
chercheurs soulignent le manque de fiabilité des résultats obtenus sur des animaux du fait des
barrières génétiques existantes entre les espèces. Ils considèrent alors que d'autres méthodes sont
plus profitables telles que l'épidémiologie, les autopsies et biopsies ou l'étude des patients.
D'autres, encore, reconnaissent l'utilité de ces tests mais les rejettent en raison des problèmes éthiques qu'ils engendrent.
Certains, enfin, adoptent un point de vue intermédiaire. En effet, ils reconnaissent l'utilité de l'expérimentation animale dans le domaine biomédicale ainsi qu'en ce qui concerne la sécurité des produits mis sur le marché. En contre partie ils revendiquent deux points, la diminution maximale des souffrances causées aux animaux et le développement de méthodes de substitution.
Le ressenti de la société face à ce risque
Ce risque est perçu de manière différente au sein des diverses sociétés. Cet état est principalement
dû au fait que les gouvernement adopte des règlementations et des politiques de communication
différentes.
En effet, les statistiques ne sont, par exemple, pas établie de la même manière partout dans le
monde. Ainsi, aux États-Unis, les chiffres relatifs à l'utilisation d'animaux de laboratoires sont
largement faussés par la non prise en compte des rongeurs.
En ce qui concerne l'opinion publique, une enquête européenne à été menée dans un passé récent. Il en ressort que 75% des personnes interrogées pensent que le niveau de bien-être et de protection des animaux de laboratoire, en Europe, est faible ou très faible.
De plus, la majorité des personnes interrogées pensent qu'il est nécessaire d'améliorer la
transparence ainsi que l'implication du public.
Cependant, les réactions de compassion observées sont contrebalancées par le fait qu'il est admis,
par la majorité de ces personnes, que ces tests sont nécessaires à la qualité ainsi qu'à la sécurité des
produits et procédés issues de la recherche scientifique (l'immense majorité étant opposée aux tests
sur des humains).
Il en résulte une volonté générale de conserver ces tests mais de les limiter aux usages strictement
indispensables.
Ces résultats sont relatifs. En effet, du fait du manque d'information au sujet de l'expérimentation
animale, une grande partie des personnes interrogées est influencée par l'intitulé de la question.
Ainsi, 45% des personnes interrogées se prononcent en faveur de l'expérimentation animale, lorsque
la question est relative à la souffrance des animaux. En revanche, 56% est favorable à ces tests
lorsque la question est relative à l'amélioration de la santé humaine.
Par ailleurs, un autre sondage a révélé que 75% des personnes interrogées estime nécessaire de
tester les médicaments sur les animaux avant de lancer les tests humains. Cependant, ce même
sondage révèle que 61% des personnes interrogées pensent que l'expérimentation animale n'est plus
nécessaire aujourd'hui et 44% considère que les tests sur des animaux devraient être totalement
abandonnés.
Ces résultats sont bien sûr aberrants et sont le fruit de l'influençabilité de l'opinion
publique en fonction de la façon dont sont présentées les informations.
Ce problème est d'autant plus marqué que les associations anti-expérimentations communiquent
beaucoup plus que les industriels et les pouvoirs publiques (notamment par internet), ce qui incite une
partie de la population à admettre des contres-vérités scientifiques relayées par des photos de cas
extrêmes et une déformation caricaturale de la réalité.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que seulement 55% des personnes interrogées se sentent
concernées par l'expérimentation animale.
Au sein d'une partie de la communauté scientifique, qui fait, bien entendu, partie de la société, l'expérimentation animale est perçue comme étant inutile car sa portée est jugée, trop souvent limitée par les différences de fonctionnement des métabolismes humains et animaux. De plus, la contribution réelle de tests médicaux sur des animaux relative à un progrès en médecine humaine et souvent critiquable selon ces mêmes personnes.
Une volonté juridique de lutter contre ce risque
Au niveau juridique, une directive européenne fixe les règles de bonne pratique relatives à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Il s'agit de la directive 2010/63/UE.
Cette dernière remplace la directive 86/609/UE qui définissait le précédent cadre juridique.
Retenons que ce dernier prévoyait déjà , entre autre, que l'expérimentation animale se devait d'être une méthode de dernier recours, uniquement utilisable lorsque l'adoption d'une méthode alternative est impossible. Cette directive établissait, de plus, une liste des espèces animales sur lesquelles certaines expérimentations étaient possibles ainsi que les conditions de réalisation de ces expériences (notamment en ce qui concerne la gestion de la douleur de l'animal).
D'un point de vue administratif, elle définissait la nécessité d'établir un système d'autorisation spécifique et de contrôle par des inspecteurs vétérinaires, pilotée par une commission nationale et par un comité national pour l'éthique.
La directive 2010/63/UE constitue une mise à jour de la directive 86/609/UE tout en étant une extension de cette dernière. En effet, elle va plus loin sur un certains nombre de thèmes.
Ainsi, à titre d'exemple, elle redéfinie son champ d'application. Les céphalopodes (tels que les seiches), les larves et même les animaux transgéniques sont désormais concernés par cette réglementation.
De plus, elle durci les règles concernant l'utilisation de certaines espèces animales.
C'est notamment le cas du groupe des primates. En effet, leur utilisation devient limitée aux seuls cas de recherche sur des maladies graves et lorsque les expériences sur une autre espèce (hors primate) est impossible. Ces animaux devront, à l'avenir, impérativement être issus d'élevages qui ne capture pas d'individus reproducteurs dans le milieu sauvage.
Une exception est faite pour le groupe des grands singes (gorilles, chimpanzés, bonobos, orangs-outans) qui regroupe les espèces les plus proches de l'homme sur le plan génétique. En effet, leur utilisation est purement et simplement interdite sauf cas de menace grave et uniquement sur autorisation du ministre en charge de la recherche et après en avoir informé la commission européenne.
Mais les primates ne sont pas les seuls à être protégés par cette directive. En effet, les animaux domestiques errants, tels que les chiens et chats abandonnés, sont mis à l'abri par cette directive sauf dans le cas où l'état de santé de ces animaux ou des animaux qu'ils côtoient (y compris homo sapiens) le justifie. Cette justification doit être examinée par la commission nationale de l'expérimentation animale.
Par ailleurs, la gestion de la douleur et significativement modifiée par la directive. En effet, elle ne doit plus seulement être gérée (délivrance d'anti-douleurs), elle doit être évitée par tous les moyens possibles.
En outre, la directive prévoit que tout projet d'étude doit recevoir une autorisation de la part du ministre chargé de la recherche et doit avoir été approuvé par un comité d'éthique agréé.
Enfin, parmi les évolutions apportées par cette directive, retenons qu'une cellule de bien-être animal se doit d'être créée dans chaque établissement éleveur, fournisseur ou utilisateur d'animaux.
Cette directive a été transposée en droit français par un décret et cinq arrêtés qui ont modifié le code rural le 11 février 2013.
Du point de vue du risque, ces mesures permettent de diminuer la dangerosité (efficacité relative, dérives éthiques potentielles, transmission de maladies etc...) puisqu'elles limitent, autant que faire se peut, l'utilisation de l'expérimentation animale. En effet, le risque étant le produit de l'aléa et de la vulnérabilité, diminuer le taux d'utilisation de l'expérimentation animale reviens à diminuer l'aléa et donc à diminuer proportionnellement le risque.
Retenons, de plus, qu'elles incluent les animaux socialement reconnus comme inférieurs (espèces dites inférieures telles que les larves, les animaux domestiques errants etc...) ce qui représente une avancée sociétale considérable tout en apportant plus de cohérence à la démarche de réduction du risque lié à l'expérimentation animale.
En outre, ces mesures vont plus loin que les mesures des précédentes directives en matière de prévention de la douleur animale et en matière d'encadrement des pratiques et de sensibilisation des personnels de recherche. Elles sont donc représentatives d'une réelle volonté de lutter contre ce risque puisqu'elles diminuent les possibilités de contournement voir de fraude.
Les alternatives a l’expérimentation animale
Certains membres de la communauté scientifique ont un point de vue plus radical que l'union européenne sur la question des risques liés à l'expérimentation animale et considèrent que la stratégie de gouvernance du risque la plus efficace est l'abandon pur et simple de ces expériences. Pour ce faire ils proposent de se reposer sur les méthodes suivantes:
L'épidémiologie : Cette méthode consiste à étudier des mesures préventives et thérapeutiques sur la population humaine. Déjà utilisée, elle s'est révélée fructueuse par le passé. Elle a permis notamment de grandes avancées en matière de tabacologie. De nos jours, l'épidémiologie apporte une voie potentiellement très intéressante. L'épidémiologie moléculaire permet, notamment, de mieux comprendre les mécanismes facteurs de cancers et de malformations, ce qui pourrait, à terme, conduire à une amélioration des mesures thérapeutiques et préventives.
L'étude sur les patients : Cette méthode consiste à observer directement des patients. Elle repose
notamment sur l'utilisation de méthodes non invasives ( scanners, IRM, etc....) et a déjà permis certaines grande avancées médicales.
Les autopsies et biopsies : Ces méthodes, bien que de moins en moins utilisées, ont déjà prouvé
leur utilité et sont toujours reconnues pour leur intérêt par la majorité des chercheurs. Elles ont
permis de grandes avancées sur la maladie d’Alzheimer ou sur le cancer du côlon. De plus, une utilisation plus grande de la biopsie peut permettre de constater la dangerosité d'un médicament de manière particulièrement fiable, avant sa mise sur le marché.
L'évaluation post-marketing : Cette méthode consiste à mettre en place une base de données
centralisée relative aux effets secondaires constatés des médicaments. Il est ainsi possible de dégager des effets positifs inattendus de certains médicaments sur des pathologies auxquelles ils n'étaient pas destinés et ainsi d'en mettre au point de nouveaux, tout en connaissant déjà les effets des composants sur l'homme.
La culture de cellules et de tissus humains : Cette méthode permet d'obtenir des traitements bien plus efficaces que ceux testés sur des animaux car elle contourne le problème des barrières interspécifiques.
L'utilisation de programmes informatiques modernes : Cette méthode permet de modéliser une réaction de manière beaucoup plus rapide qu'en la testant sur un animal tout en étant, dans certains domaines, suffisamment fiable.
Le microdosage : Cette méthode consiste à injecter un dose très faible d'un composé ou d'un médicament dans un organisme humain et à observer son évolution. Compte tenu des moyens actuels, cette technique pourrait remplacer bon nombre de tests inutiles sur des animaux tout en se montrant plus efficace.
Elle est déjà approuvée par l'Agence Européenne pour l'Evaluation des Médicament ( EAEMP).
En conclusion, retenons que l'expérimentation animale est source de débats tant sociétaux que scientifiques. Bien que sa considération fasse appel à des notions subjectives, telles que l'éthique, cette forme d'expérimentation pose des problèmes tout à fait objectifs sur le plan de la sécurité (des hommes, mais aussi des animaux) et de la qualité des avancées médicales. En d'autres termes, elle représente bel et bien un risque objectif. L'union européenne a pris conscience de cet état de fait est cherche de plus en plus à diminuer ce risque, comme ceci est démontré par la directive 2010/63/UE.
Cette volonté s'inscrit dans le cadre d'une prise de conscience sociétale réelle et croissante, bien que subjective et est fortement influencée par les avancées techniques modernes en matière de recherche scientifique.