La transposition de la Directive cadre sur l’eau 2000/60/CE en France s’est réalisée par la loi du 21 avril 2004. Cependant, la transcription des exigences européennes s’est véritablement opérée par la LEMA en 2006. Celle-ci a intégré un certain nombre d’innovations afin d’adapter la politique de l’eau au cadre communautaire, et se donner ainsi les avantages pour atteindre l’objectif fixé par la DCE. Parmi ces innovations, elle a introduit la notion de « restauration de la continuité écologique » des cours d’eau. La continuité écologique constitue l’une des caractéristiques du paramètre hydromorphologique - physique - d’un cours d’eau. Elle se définit par la libre circulation piscicole et le transport naturel des sédiments grossiers. La politique de l’eau accorde une place très importante à cette dimension qu’elle considère comme une condition indispensable à l’atteinte du bon état des eaux en 2015. En effet, la restauration de la continuité écologique est devenue une priorité nationale pour honorer les engagements pris envers l’Europe. Cela s’est particulièrement traduit par une inflation règlementaire en faveur du transport des sédiments mais par-dessus tout en faveur de la libre circulation piscicole. Effectivement, un grand nombre d’outils règlementaires a été adopté pour garantir la protection exclusive des migrateurs amphihalins menacés d’extinction.

I – L’hydromorphologie, le choix d’un paramètre dérisoire.

Afin de rétablir la qualité des eaux de surface, à fortiori des cours d’eau, la DCE préconise la reconquête de leur état écologique et de leur état chimique. De surcroit, elle considère qu’il appartient aux Etats membres de traiter en priorité les principales causes de dégradation de la qualité des cours d’eau, à savoir, les pollutions chimiques et physico-chimiques. Au regard des exigences établies à l’échelle européenne, la politique de restauration de la continuité écologique engagée par la France semble donc absolument dérisoire :
- d’une part, la continuité écologique ne constitue qu’une condition du bon état hydromorphologique d’un cours d’eau. En effet, un certain nombre de paramètres doit également être pris en compte : régime hydraulique, mobilité du cours d’eau etc. De cette manière, celle-ci ne suffirait pas à rétablir à elle seule l’état hydromorphologique.
- d’autre part, le paramètre hydromorphologique n’est lui-même qu’une condition du bon état écologique d’un cours d’eau. Le bon état écologique nécessite également le rétablissement des paramètres biologiques et physico-chimiques.
Ce raisonnement permet d’affirmer que la restauration de la continuité écologique ne suffira pas, à elle seule, à atteindre l’objectif de bon état en 2015. Elle permettra pour le mieux, de rétablir qu’une infime partie de la qualité des cours d’eau. Par ailleurs, il faut également souligner que la mise en œuvre de la reconquête de la continuité écologique affiche elle-même des carences :
- l’inflation règlementaire s’est effectuée en faveur de la dimension piscicole de la continuité écologique aux dépens du transport sédimentaire.
- l’analyse des caractéristiques morphologiques n’ont pas été réalisés sur la plupart des cours d’eau.
Dans un tel contexte, comment la France peut-elle prétendre rétablir la qualité de 100 pour cent de ses masses d’eau au plus tard en 2027 ?

Les faiblesses de la politique de l’eau dans le cadre de la transposition de la DCE, ont été clairement exposées par la Commission Européenne dans un rapport publié le 14 novembre 2012. Celle-ci établit un constat négatif de la politique française de l’eau.
Elle considère d’une part, qu’il n’existe pas de lien clair entre la sélection des mesures hydromorphologiques et l’état actuel des cours d’eau. En d’autres termes, « ces mesures ne sont pas clairement liées aux usages et aux pressions de l’eau ». En effet, la dégradation de la qualité des cours d’eau est principalement liée au déversement de substances chimiques, généralement d’origine agricole. La présence de ses substances conduit également à l’affaiblissement et au déclin d’un certain nombre d’espèces aquatiques, dont la situation devient de plus en plus alarmante. Dans ce contexte, la place importante qu’accorde la France à la restauration de la continuité écologique est insignifiante, et ne résolve pas le problème majeur des cours d’eau. Ce choix découle d’une interprétation restrictive de la DCE qui expose aujourd’hui la France, a un risque de non atteinte du bon état des eaux à l’échéance 2015, voire même 2027. L’existence d’un tel risque confirme les mauvais choix de la France en termes de priorités. Les objectifs de la DCE sont pourtant clairs : la suppression des pollutions chimiques est la priorité.

La reconquête de l’état chimique et physico-chimique des cours d’eau en France, est beaucoup plus floue. Les actions en faveur de la lutte contre les pollutions chimiques, principales sources de dégradation des cours d’eau, sont conduites de manière beaucoup plus accessoire. La Commission Européenne expose d’ailleurs dans son rapport de 2012, que « le pourcentage élevé de masse d’eau en état chimique inconnu doit être souligné ». La DCE impose à chaque Etats membres de se doter d’outils de surveillance et de connaissances permettant d’apprécier et de réaliser des mesures biologiques, chimiques, physico-chimiques et les critères de descriptions morphologiques pour chaque masse d’eau. Ces données doivent être portées à la connaissance de la Commission Européenne. Aujourd’hui, l’état chimique de près de 34,1 pour cent des masses d’eau française n’a pas été communiqué à la Commission. La méconnaissance de ces données constitue un problème majeur, dans la mesure où aucune action appropriée ne peut être mise en œuvre pour améliorer l’état chimique des cours d’eau. L’absence des mesures évaluant l’état chimique des cours d’eau prouve les insuffisances de la politique de l’eau pour atteindre le bon état en 2015. Elles sont le résultat d’une gouvernance et de décisions inappropriées. D’autre part, la Commission Européenne affirme que parmi les faibles quantités de mesures lui ayant été communiquées, « celles de l’état chimique sont très peu claires ». Ceci l’a amené à s’interroger sur la pertinence des informations produites par la France.

II - La négligence d’un paramètre fondamental

Les carences de la politique de l’eau ci-dessus observées ont déjà fait l’objet de nombreux avertissements de la part de la Commission Européenne. La France est donc fortement sollicitée à améliorer sa politique de l’eau en déterminant les véritables enjeux prioritaires pour atteindre le bon état des eaux dans les délais. A défaut, cette situation pourrait amener la Commission Européenne à saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne pour condamner la France pour non respect des objectifs fixés par la DCE.
L’incapacité de la France à supprimer ou réduire les pollutions chimiques altérant la qualité des cours d’eau, n’est pas nouvelle. En 2010 la Cour des comptes avait affirmé l’incapacité de la France à lutter contre les pollutions chimiques. Effectivement, celle-ci a déjà fait l’objet de multiples condamnations de la CJUE dans ce domaine. La condamnation la plus récente résulte d’une décision de la CJUE le 13 juin dernier. En l’espèce, la directive nitrates du 12 décembre 1991 oblige les Etats membres de l’U.E à prendre les mesures de protection des eaux nécessaires, pour lutter contre la pollution par les nitrates à partir de source agricole. Plus particulièrement, les Etats membres sont tenus de désigner en tant que zones vulnérables les masses d’eaux affectées ou risquant de l’être par des teneurs excessives en nitrate. Cependant, malgré les mises en garde répétées de la Commission, la France s’est abstenue de manière délibérée de désigner près de 10 masses d’eau en tant que zone vulnérable. La Commission a alors introduit un recours en manquement contre la France devant la CJUE qui s’est traduit par une nouvelle condamnation de la France. Cette décision prouve l’incapacité de la politique de l’eau à mener des actions en faveur de la diminution du taux de nitrates dans les cours d’eau. Selon Delphine Batho, ancienne ministre de l’écologie, « cet arrêt sanctionne des faiblesses de longues dates ». La France fait partie des pays les plus condamnés par la CJUE, pour non respect des Directives européennes.

Pourtant, la France dispose d’un certain nombre d’outils visant la mise en œuvre d’actions en faveur de la suppression des pollutions chimiques présentes dans les cours d’eau. En 2008 par exemple, le plan Ecophyto a été institué à la suite du Grenelle de l’environnement afin de garantir la réduction de l’usage des pesticides en France. Piloté par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, le plan vise la suppression de 50 pourcent des intrants chimiques agricoles à l’horizon 2018.
A la même période, le plan d’action national PCB a été adopté. Les PCB sont des substances toxiques dont l’utilisation est interdite en France depuis les années 1980, mais leur usage a été prolongé à certaines activités. Depuis quelques années, nous constatons la présence assez généralisée de ces substances au sein des cours d’eau. Le dépassement de leurs teneurs maximales peut entrainer des conséquences dommageables pour les écosystèmes aquatiques, mais également pour les populations consommatrices de poissons. Le Plan PCB vise alors la réduction des rejets de PCB dans les cours d’eau, l’amélioration des connaissances scientifiques, le renforcement des contrôles sur les poissons destinés à la consommation. D’autre part, afin de garantir la salubrité publique des mesures d’information et d’interdiction de consommation sont mises en place sur les cours d’eau concernés.
Le plan d’action national ci-dessus évoqué n’est qu’une liste non exhaustive des mesures adoptées par la France pour lutter contre les pollutions chimiques. Toutefois, aucune conclusion sur l’efficacité de ces actions n’a encore été portée à la connaissance du public.

La politique française de l’eau a orienté ses priorités vers la restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Cependant, elle ne constitue qu’un paramètre secondaire au regard de ce que préconise la DCE. Non seulement la France a opéré les mauvais choix en termes de priorités, mais les outils règlementaires adoptés en faveur de la restauration de la continuité écologique présentent un certain nombre de lacunes et d’incohérences.