
Allons-nous disparaitre dans quatre ans?
Par David MAIA
Ingenieur Sécurité
Cofely GDF-SUEZ
Posté le: 01/09/2013 21:49
"Si les abeilles disparaissent, l'humanité n'aura plus que quatre ans à vivre." Cette phrase, attribuée à Albert Einstein, a-t-elle été considérée avec tout le sérieux qu'un tel avertissement mérite? Il semblerait que non compte tenu du déclin des populations d'abeilles observé partout dans le monde ces dernières années. Or, 80% des plantes dépendent des pollinisateurs dont l'abeille est l'espèce reine. Einstein avait-il raison?
C'est apparemment ce que pensent certains de nos dirigeants. En effet, un plan de développement durable de l'apiculture a été mis en place par Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt. Ce plan, débloque des fonds à hauteur de 40 millions d'euros qui permettrons, notamment, de préserver la bonne santé des colonies d'abeilles, de développer la filière apicole française (production, formations etc...) et de promouvoir la recherche.
Mais que sait-on vraiment de cet étrange phénomène?Afin de mieux comprendre les raisons qui motivent la démarche de monsieur Le Foll, réalisons un tour d'horizon des éléments de compréhension.
En premier lieu, essayons de comprendre pourquoi les abeilles disparaissent. Cette question est le centre de débats houleux et il ressort des différentes études sur le sujet que le problème est incertains et extrêmement complexe. L'hypothèse la plus probable est que la disparition des abeilles est liée à un faisceau multifactoriel. Parmi ces facteurs, les principaux sont:
-Les intoxications chimiques causées notamment par les pesticides et les fongicides. Ces intoxications sont d'autant plus graves que leurs effets sont multiples. Certaines conduisent directement à la mort de l'abeille, tandis que d'autre perturbent son organisme entraînant des dérives comportementales ou des confusions (l'abeille ne s'oriente plus correctement et ne retrouve plus sa ruche).
-Les parasites (champignons, acariens...).
-Les maladies, notamment virales.
-Les déséquilibres alimentaires causés notamment par la destruction de l'habitat ou la monoculture.
-La non adaptabilité de certaines espèces importées.
-Certaines pratiques apicoles actuelles.
-La raréfaction de certaines espèces végétales.
-La pollution de l'environnement.
-La sur-présence de certains prédateurs appartenant à des espèces invasives tels que le frelon asiatique. Ce dernier chasse l'abeille lorsqu'elle sort. Soit en plein vol soit en embuscade à la sortie de la ruche. Ils attaquent donc majoritairement les butineuses ce qui impacte directement la production de miel, la fécondation végétale, et l'approvisionnement en nourriture du reste de la colonie.
Ce qui est certains, en revanche, c'est que la diminution rapide des populations d'abeilles est un phénomène d'ampleur mondial dont les conséquences sont, là encore, incertaines mais potentiellement désastreuses. Pour faire face à ce problème, de nombreuses équipes de chercheurs, à travers le monde, travaillent dans le but de faire avancer la compréhension de ces phénomènes et surtout dans le but d'inverser la tendance. C'est malheureusement une tâche difficile du fait des incertitudes relative aux causes ainsi qu'à leur pondération, mais aussi en raison du faible degré de connaissance dont disposent les scientifiques relativement au comportement des abeilles. Il est même, par ailleurs, étonnant qu'un animal si commun et si utile nous semble si mystérieux.
A titre d'exemple de difficulté de compréhension, retenons que cette dernière est d'autant plus difficile que l'abeille vit dans une colonie, qui est un système social très particulier qui compte plus que l'individu et présente des caractéristiques propres.
Il est, ainsi, très difficile de mesurer le bien être d'une colonie par des critères objectifs et universels analogue à ceux que l'on pourrait imaginer pour mesurer le bien être d'un individu.
Retenons, en complément, que le syndrome d'effondrement des colonies actuellement observé est particulièrement étonnant. En effet, Il peut se produire du jour au lendemain et peu de cadavres sont retrouvés. Ceci va à l'encontre des observations habituellement réalisées au cours des phénomènes de disparitions de populations animales et laisse de nombreux spécialiste perplexes. Certains d'entre eux y voient le signe que les abeilles sont perturbées par des substances chimiques en suspension dans l'air, probablement des insecticides, et ne peuvent plus communiquer. Or, sans communication, les butineuse ne peuvent plus rejoindre la ruche et finissent par mourir de faim, probablement à plusieurs centaines de mètres de leur ruche ce qui explique l'absence de grande concentration de cadavres.
Dans le but, entre autre, de tester cette théorie et en application du principe de précaution, la commission européenne a décidé de suspendre pendant deux ans, à compter du 1er décembre 2013, l'utilisation de trois pesticides de la famille des néo-nicotinoïdes. Cette suspension sera effective pour le traitement des semences, des sols et pour la pulvérisation sur les cultures reconnue comme étant attractives pour les abeilles. Toutefois, certains experts se montrent, pour le moins, sceptiques vis-à -vis de cette mesure. En effet, elle ne sera pas réellement une période de deux ans sans nicotinoïdes puisque certaines cultures telles que la betterave à sucre, bénéficierons d'une dérogation. D'autre part, elle risque d’entraîner un phénomène de compensation de la part des cultivateur qui risquent d'utiliser d'autre produits de substitution plus dangereux en eux-même ou du fait des mélanges avec les autres produits. Enfin, une durée de deux ans n'est pas assez importante pour enregistrer des résultats significatifs du fait du temps de persistance des néo-nicotinoïdes dans le sol. En effet, ces-derniers seront toujours présents dans le sol en quantité importante durant ces deux ans, même si de nouvelles doses ne sont pas ajoutées. Ceci à d'ailleurs déjà poussé l’Allemagne a demander des tests complémentaires qui se poursuivraient, s'ils étaient retenus, après ces deux ans.
Comme nous l'avons vu précédemment, les causes de la disparitions des abeilles sont incertaines de même que les moyens d'y remédier. Toutefois, il est possible d'esquisser un prévisionnel des conséquences que la disparition des abeilles pourraient avoir, notamment au niveau financier. A ce propos, retenons que la première grande prise de conscience collective date de 2007 lorsque les États-Unis se sont rendus compte que 60% de leurs colonies avait disparues et que d'autres nations asiatiques et européennes enregistraient elles aussi de très lourdes pertes situées aux alentours de 25% (29% pour la France). Les États-Unis ont alors estimé leur perte nette à 15 milliards de dollars.
Cette nouvelle a provoqué un certain émoi international. En France, par exemple, une étude a été menée conjointement par l'INRA et le CNRS. Il en ressort que le service rendu par les pollinisateurs pèse 153 milliards d'euros, soit, 9,5% de la valeur de la production agricole mondiale.
Par ailleurs, ils sont indispensables à un nombre si important d'espèces végétales cultivables que 35% de la production agricole est directement dépendante des pollinisateurs.
Ces chiffres peuvent paraître étonnamment élevés. Afin de mieux en comprendre la raison, interessons-nous, brièvement, aux mécanismes biologiques de reproduction végétale. Les animaux se caractérise généralement (des exceptions existent) par leur capacité à se mouvoir. Lors de la reproduction, ceci permet, aux individus de sexe opposés de se rencontrer et de fusionner leurs gamètes (cellules reproductrices). Les végétaux se caractérise quant à eux par leur incapacité à se mouvoir. Ils ne peuvent donc se rencontrer pour se féconder. Ils passent donc par des stratagèmes plus ou moins élaborés tels que l'auto-fécondation, la dispersion dans l'eau (hydrogamie), la dispersion dans le vent (anémogamie) ou la pollinisation par des animaux (zoogamie). Cette dernière est une méthode complexe mais très efficace. En effet, la plante attire un pollinisateur (ex: une abeille) grâce à de la nourriture (le nectar), afin qu'il vienne la butiner. Ce-faisant, le pollinisateur entre en contact avec les étamines de la pante (organe sexuel mâle) et une partie du pollen (cellule sexuelle mâle) se colle sur le pollinisateur qui, en allant butiner une autre plante, de la même espèce, transporte le pollen récolté vers le stigmate (organe sexuel femelle) de cette nouvelle plante. Comparativement à une autre méthode telle que la dispersion aléatoire du pollen dans le vent, cette méthode à l'avantage d'augmenter considérablement la probabilité pour un grain de pollen donné de rencontrer une cellule sexuelle femelle. Un très grand nombre d'espèces végétales utilisent donc cette méthode et en sont devenues dépendantes. On comprend ainsi mieux toute l'importance du service rendu par les abeilles au niveau économique, puisque la reproduction végétale est une étape essentielle pour assurer la continuité de la production.
Mais les conséquences de la disparitions des abeilles ne se résumerait pas à une perte économique pour le secteur agro-alimentaire, elle aurait des conséquences sociales et sociétales au moins aussi importantes. En effet, si le déclin des populations d'abeille se poursuit les prix de l'alimentation pourraient connaître une très forte augmentation, en particulier le prix des fruits et légumes qui sont les plus dépendants aux pollinisateurs (cela est moins le cas pour les céréales). Ceci aurait des conséquences incroyablement graves sur l'ensemble de la population humaine. En effet, des milliards de personnes à faibles revenus risquent de ne plus avoir les moyens de se nourrir correctement, ce qui, bien évidemment, aurait des répercutions très grave sur leur santé et celle des personnes dont ils ont la charge (enfants, personnes âgées et/ou handicapées, etc...). Ceci entraînerait, de plus, un très grave déséquilibre financier dans un contexte international toujours fragilisé par la crise de 2008. Ce déséquilibre pourrait avoir des conséquences économiques et sociales, difficilement estimables mais potentiellement désastreuses et venant s'ajouter à la diminution des ressources alimentaires. Enfin, il est très probable qu'une telle inaccessibilité de la nourriture entraîne un phénomène d'immigration extrêmement massif dans des proportions probablement encore jamais vues, avec toutes les conséquences économiques et sociales que cela peut impliquer.
D'un point de vue environnemental, retenons que le déclin des abeilles aurait des conséquences extrêmement importantes sur la biodiversité puisqu’une grande parties des végétaux ne pourraient plus se reproduire. Ceci serait une catastrophe écologique de très grande ampleur dont l'homme, en tant que membre de l’écosystème global ne sortirait probablement pas indemne. Compte tenu de l'immense complexité de cette question qui divise même les plus grands spécialistes, nous nous garderons de spéculer quant à la teneur exacte de ces conséquences. Contentons-nous de rappeler que les végétaux sont en très grande partie responsables de la qualité de l'air, des sols et de l'eau potable. Il est ainsi assez facile d'imaginer quel désastres pourraient découler de la disparition des abeilles même s'il est presque impossible de les quantifier.
La déclin des populations d'abeilles est un phénomène inquiétant qui fait se perdre en conjectures de nombreux experts. Il semble certains, cependant, que si la tendance actuelle se poursuit, de nombreux maux sont à craindre. Il est même possible que les dégâts dépasse de très loin ce que l'histoire moderne a connu en terme de crise alimentaire et géo-politique tout en aggravant ce qu'elle connaît déjà en terme de crise économique. Heureusement, des voix s'élèvent. Parmi celles-ci celles de l'Union Européenne et de la France, essaient de se faire entendre. Mais la résolution du problème est malheureusement plus compliquée qu'il n'y parait du fait, tout d'abords, de la complexité du phénomène et de l'identification de ses causes, mais aussi du fait du lobbying des producteurs de pesticides qui entretiennent une certaine confusion scientifique.
L'ornithologue Ian Mc Millan a dit en 1870, "Il faut sauver les condors, non pas tant parce que nous avons besoin d'eux, mais parce que nous avons besoin des qualités humaines pour les sauver ; celles-là mêmes qui nous seront utiles pour nous sauvez nous mêmes...". Cette phrase prends une tout autre dimension dans le cas des abeilles, puisque cette-fois, sauver les abeilles pourraient, directement, nous sauver nous-même. Il semblerait donc que Mc Millan n'était pas loin de la vérité. Espérons tout de même qu'Einstein, cette fois-ci, n'en était pas trop prêt.