
Les nanotechnologies; une nouvelle science pour la santé, mais quel encadrement juridique ?
Par Audrey COUYERE
Juriste en Droit de l'Environnement et Droit du Travail
EDF
Posté le: 30/08/2013 10:52
Les risques pour la santé des nanomédicaments
S’agissant des médicaments, la question se pose de l’évacuation des vecteurs des principes actifs, une fois qu’ils ont produit l’effet désiré : en particulier, que deviennent les « nanocoques » qui ont transporté les molécules désirées ? Vont-elles être éliminées par l’organisme, ou alors vont –elles s’agglomérer dans le corps ? Les comités d’éthiques français et européens ont tous deux insisté sur le problème de la sécurité des nanomédicaments. Le Comité Consultatif National d'Éthique pour les sciences de la vie et la santé (CCNE) a formulé plusieurs recommandations à l'égard de l'usage des nanomédicaments dans son Avis no 96. Il a été demandé de « faire en sorte qu'une information suffisante soit disponible sur la redoutable propriété ambivalente des nanosystèmes moléculaires conçus par l'homme de pouvoir traverser les barrières biologiques, notamment entre sang et cerveau, et d'être actuellement peu ou pas biodégradable, ce qui risque d'avoir, en dehors d'indications thérapeutiques précises, des conséquences majeures pour la santé ». Les conseillers ont aussi suggéré aux pouvoirs publics d'« accroître de manière urgente la recherche et le développement de la nanométrologie pour concevoir et multiplier les instruments qui permettront de détecter et identifier les nanoparticules qui vont former des nano-objets et des nanostructures, en particulier celles et ceux qui sont intentionnellement crées ». Il leur paraît également indispensable de « favoriser les informations en réseaux des Agences : de la Biomédecine, AFSSAPS, AFSSA, et celles de l'Institut de Veille Sanitaire. La plus grande attention sera réservée au respect des principes associés tels que le respect de la vie privée, le consentement éclairé à l'administration ou à l'exposition à de nouvelles nanoparticules, l'équité d'accès à ces innovations, la protection des personnes. Il faut obliger les industriels à une information et un étiquetage visible des produits contenant des nanoparticules créées intentionnellement pour que le consommateur puisse éventuellement en refuser l'usage. Le recueil et la transparence des informations relatives à la pharmacovigilance des produits issus de la nanomédecine résulteront d'une extension des compétences des structures actuelles concernées par les médicaments et les dispositifs implantables » (CCNE, 2007) Le Groupe européen d'éthique pour les sciences et les nouvelles technologies (GEE) a été saisi par la Commission européenne des questions soulevées par le développement de la nanomédecine. Dans son avis rendu en janvier 2007, il a insisté sur la nécessité de progresser dans les connaissances sur les dangers potentiels des nanoparticules et dans l'évaluation des risques que pourraient courir les patients. L'application du principe de précaution est ici qualifiée « d'importance vitale ». Néanmoins, les conseillers n'ont pas jugé nécessaire d'appeler à une modification des textes réglementaires européens relatifs aux médicaments et aux dispositifs médicaux. Ils ont seulement estimé qu'il serait utile de mener, au sein des instances compétentes, une réflexion approfondie sur l'existence de possibles recoupements entre différentes législations qui créeraient des incertitudes sur le droit applicable (GEE, 2007) (Permanent, 2013, p. 35). L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans ses « recommandations relatives à l'évaluation toxicologique des médicaments sous forme nanoparticulaire » de septembre 2008, pointait plusieurs éléments clés. D'abord, la biodégradabilité ou la solubilité du vecteur est une propriété importante conditionnant l'élimination des nanoparticules introduites dans l'organisme. Ensuite, l'évaluation de la toxicité des médicaments nanoparticulaires doit tenir compte non seulement de la toxicité du principe actif vectorisé, mais aussi de la structure dans laquelle il se trouve, car celle-ci risque de la modifier. Pour cette raison, l'agence juge préférable d'évaluer le médicament nanoparticulaire comme une entité autonome et comme un principe actif « total » en grande partie nouveau. De plus, elle considère que la forme nanoparticulaire peut « engendrer des risques spécifiques (formation d'agglomérats), véhiculer par absorption des impuretés, générer par dégradation ou solubilisation des matériaux qui les constituent des produits toxiques, franchir des barrières physiologiques (hémato-encéphalique, fœto-placentaire, membranes cellulaires et nucléaires, etc.) ». Or, ce domaine étant très peu documenté à ce stade des recherches en toxicologie, l'agence estime que « pour une meilleure efficacité (notamment pour le criblage) et pour des raisons éthiques (utilisation extensive et injustifiée d'animaux de laboratoire), l'emploi de méthodes in vitro validées doit être fortement encouragé. Elles doivent permettre d'évaluer la génotoxicité, la cytotoxicité, la formation de radicaux libres, la biopersistance, la capacité phagocytaire, etc. de façon pertinente » (Permanent, 2013).
La difficulté réside ici cependant dans l'existence (ou plutôt l'inexistence) de méthodes validées, s'agissant d'entités considérées comme nouvelles et présentant des propriétés et des comportements possiblement différents. On peut craindre en effet que les méthodes d'évaluation expérimentales existantes ne soient pas adéquates pour évaluer les propriétés des produits nanoparticulaires ». L'agence n'ignore pas ces difficultés. Selon l'agence, « les critiques les plus souvent exprimées concernent notamment les études pharmaco et toxicocinétiques auxquelles il est reproché de ne pas prendre en compte de façon réaliste les particularités liées à la structure nanoparticulaire. La pertinence des tests in vitro est également débattue dans la mesure où la vitesse de sédimentation et la capacité de diffusion des nanoparticules doivent modifier les conditions d'exposition (dose-durée) des modèles utilisés (tests de génotoxicité par exemple). Enfin, l'absence de données sur les effets à long terme est souvent soulignée. En conséquence, on peut être amené à préconiser, comme le font certains groupes consuméristes aux USA, le développement d'une réglementation totalement nouvelle, basée sur des tests "adaptés" d'évaluation de la sécurité, pour les produits nanoparticulaires ». L'agence juge que « cette proposition maximaliste est totalement idéaliste et scientifiquement injustifiée selon la très grande majorité de la communauté scientifique. Combien d'années de mise au point et de validation seraient-elles nécessaires pour arriver à ce résultat ? Par ailleurs les données scientifiques existantes ne paraissent pas justifier une telle révision. Certains industriels consultés et la plupart des experts estiment du reste que l'évaluation toxicologique des médicaments nanoparticulaires (MNP) ne devrait pas s'écarter trop sensiblement de l'évaluation "conventionnelle”, à certaines adaptations près (caractère caricatural des études par administration réitérée pour des MNP utilisés en administration unique chez l'homme, dans le cas de l'imagerie médicale). Le plan suivi pour l'élaboration de ces recommandations suit, en ce sens, cette vue des choses, c'est-à-dire adapter lorsque nécessaire la stratégie d'évaluation de la sécurité, sans remettre en cause les principes fondamentaux » (Permanent, 2013).
L'Agence européenne du médicament (EMeA) a organisé plusieurs réunions de travail dédiées aux nanomédicaments entre 2006 et 2010. Le problème du manque de connaissances sur les interactions entre les cellules de l'organisme et le nano-dispositif a été souligné. Les nouvelles propriétés recherchées sont en effet susceptibles de provoquer des réactions inattendues. Un groupe d'expert dédié aux médicaments a donc été créé au sein de l'EMeA, afin que l'analyse bénéfice/risque puisse être réalisée dans les meilleures conditions (Emea, 2006).
Les risques potentiels ou hypothétiques pour la santé humaine pose la question de l'encadrement juridique des nanomédicaments et "nano"dispositif médicaux. Cette étude intéressera tout particulièrement les laboratoires pharmaceutiques ainsi que les producteurs de matériels médicaux.
L'encadrement juridique des nanomédicaments et des "nano" dispositif médicaux
Il convient d’aborder la réglementation relative aux nanomatériaux dans les médicaments, et la réglementation relative aux nanomatériaux dans les dispositifs médicaux.
Le droit des médicaments
Le droit des médicaments est harmonisé au niveau européen. La (Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, 2001) a aujourd’hui vocation à s’appliquer pour les nano - médicaments comme pour tous les médicaments. Selon l’article 1er, 2) est un médicament « toute substance ou composition pouvant être administrée à l’homme en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques chez l’homme est également considéré comme médicament ». Dès lors, les médicaments vectorisés avec des nanoparticules relèvent du régime d’autorisation de mise sur le marché qui implique le respect d’un certain nombre de critères : qualité (composition qualitative et quantitative), efficacité (effet thérapeutique démontré) et sécurité (rapport bénéfice/risque jugé favorable). Une vingtaine de nanomédicaments ont été autorisés soit par l’Agence européenne, soit par les autorités nationales (Emea, 2006). La Commission européenne considère que la législation européenne permet d’assurer une évaluation efficace du rapport bénéfices/risques s’agissant des nanomatériaux contenus dans les médicaments. Ce n’est pas l’avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Celle-ci considère que le médicament contenant des nanoparticules doit être considéré comme un nouveau médicament. Rien d’équivalent à la notification des nano - cosmétiques ou à l’étiquetage des nano - aliments n’est prévu pour les nano - médicaments (Leroux, 2007) (Fichet, 2009).
Le droit des dispositifs médicaux
Au terme de la (Directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux), les dispositifs médicaux n’ont pas besoin d’autorisation préalable pour être mis sur le marché ; une notification suffit. Actuellement certains de ces produits contiennent des nanomatériaux. C’est le cas du pansement recouvert de nano-argent. Aucune analyse du rapport bénéfice/risque n’est élaboré pour ces produits. La Commission européenne envisage un classement des dispositifs médicaux contenant des nanomatériaux en classe III, ce qui les soumettraient à une procédure d’autorisation. De plus, une obligation d’étiquetage spécifique sera ajoutée (Commission, 2012).