Nous avons vu que le règlement REACH n’est pas encore applicable, en l’état actuel, aux nanoparticules. En revanche, la France impose son originalité puisqu’elle emprunte le mécanisme de REACH pour mettre à la charge des fabricants la déclaration des substances nanoparticulaires – loi Grenelle II. Deux décrets adoptés le 17 février 2012 l'organisent. Le décret no 2012-232 en fixe les modalités. Pour bien comprendre ce dispositif, il faut en examiner les modalités ainsi que son articulation avec REACH.
Comme dans REACH, la définition de la substance est centrale puisqu’elle conditionne l’application du système. C’est pourquoi le dispositif de déclaration périodique obligatoire des quantités et des usages des substances à l’état nanoparticulaire s’attache à définir la substance dite « nano ». Le décret n° 2012-232 du 17 février 2012 précise qu’il s’agit de toute « substance telle que définie à l’article 3 du règlement (CE) n° 1907/2006, fabriquée intentionnellement à l’échelle nanométrique, contenant des particules, non liées ou sous formes d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, dont une proportion minimale des particules, dans la distribution des tailles en nombre, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1nm et 100 nm » (CEnv.). - article R 523-12. Le décret se réfère en doublement aux définitions européennes. Il reprend directement la définition de substance du règlement REACH – soit « un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre, mais à l’exclusion de tout solvant qui peut être séparé sans affecter la stabilité de la substance ou modifier sa composition ». Pour ce qui est de la définition du caractère nanoparticulaire, le décret s’inspire implicitement de la Recommandation de la (Commission Européenne, 2011). La proportion de particules nanométriques a été fixée par l’arrêté du 6 août 2012 au même niveau que celui de la Recommandation (50%). Le problème des nano-objets n’entrant pas dans le champ délimité parce que présentant une ou plusieurs dimensions externes inférieures à 1nm est résolu dans le décret n° 2012-232 par une liste de produits « considérés comme ». Liste qui présente l’inconvénient d’être limitative. Cependant, l’étude du dictionnaire permanent note que le décret se distingue de la Recommandation en ne visant que les substances fabriquées « intentionnellement ». De plus, il est prévu que la proportion minimale de particules nanométriques, fixée par arrêté, puisse être réduire dans des cas spécifiques, pour protéger l’environnement et la santé, mais aussi pour des raisons de compétitivité. Compte tenu de cette dernière différence, la définition se veut plus protectrice que la définition européenne. Si cet objectif est louable, il n’est pas de bon ton de s’écarter de la définition européenne, laquelle a été établie, avant tout, dans un but d’harmonisation des différentes législations. De plus, cette définition diffère de celle de l’instance internationale de normalisation (ISO) : le seuil de 100 nm est fixe et aucune référence n’est faite à l’apparition de propriétés nouvelles.. (Permanent, 2013).
S’agissant du critère d’application, la substance à l’état nanoparticulaire, des critiques sont émises quant à la mise en œuvre pratique. En l’absence de méthodologie claire pour quantifier les nanomatériaux, l’obligation de déclaration est difficile à mettre en œuvre par les entreprises. S’ensuivent quelques précisions de nature à inclure dans le champ d’application des substances n’atteignant pas le seuil minimal de 1 nm pour raisons tenant à la protection de l’environnement, de la santé publique, de la sécurité, ou de la compétitivité – les fullérènes, les flocons de graphène, les nanotubes de carbone à paroi simple. Pour la compréhension du texte, les définitions des termes « particules », « agglomérat » et « agrégat » sont données. La démarche du législateur, très technique, s’éloigne de l’objet juridique du décret. Ce qui étonne car bien des aspects des nanomatériaux sont encore aujourd’hui à l’étude. C’est pourquoi, cette tentative de fixation du « scientifique » dans le « juridique » alors que le premier domaine n’est pas encore déterminé est mal venue. S’agissant des mélanges, le décret précise l’obligation de déclaration pour les substances nanoparticulaires contenue dans un mélange sans y être liée. Cette obligation pose des difficultés techniques ; il semble difficile de départir les mélanges dans lesquels les substances à l’état nanoparticulaire sont liées. Quant aux matériaux, le site internet du ministère de l’écologie indique que la notion de « matériau » doit être entendue au sens de la notion d’article au sens du règlement REACH. Le décret précise l’obligation de déclaration des matériaux incorporant des substances à l’état nanoparticulaire et dont le cycle de vie peut provoquer la libération de ces dernières. Sur ce point, la précision est intéressante en terme de prévention. A titre d’illustration, les enduits en nano-dyoxide de titane sont utilisés sur tous types de supports (tuiles, cotons, filtres de produits de beauté, protection solaire, plastiques, peintures et encres d’imprimerie, fabrication de papier, métallurgie et industrie aérospatiale) qu’ils rendent autonettoyants. Lorsqu’elles sont utilisées dans du ciment, notamment, les nanoparticules de dioxyde de titane présentent en outre la propriété intéressante d’être dépolluantes et de faire chuter de manière significative la production de NOx, polluants atmosphérique bien connus. Toutefois il est certain que ces revêtements entraînent, au fil du temps, un rejet de nanoparticules dans l’environnement (Lacour S. , 2012).
Les obligations imposées aux fabricants et assimilés
Les personnes tenues de déclarer sont celles qui produisent, importent ou distribuent au moins 100 grammes par an d'une substance à l'état nanoparticulaire, en l'état ou contenue dans un mélange sans y être liée, ou de matériaux destinés à rejeter cette substance dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d'utilisation – R. 523-14 (CEnv.). Concrètement, voici l’abaissement du seuil, problématique dans le cas des nanoparticules, prévu par REACH. Ce seuil bas devrait permettre une cartographie fine de la situation française. Au terme de l’article R. 523-14 du Code de l’environnement, un régime allégé est prévu pour les activités de recherche et développement sans mise sur le marché, c'est-à-dire pour les laboratoires de recherche publics et privés : ces derniers - ou l'établissement dont ils dépendent - sont soumis à déclaration mais peuvent ne déclarer que leur identité et le secteur d'activité concerné.
Contenu et modalités de la déclaration
Les informations à fournir dans la déclaration sont précisées par l'arrêté du 6 août 2012 : identité du déclarant, de la substance, des quantités produites, distribuées ou importées, ainsi que les usages prévus pour la substance et l'identité des utilisateurs (Arrêté 6 août 2012 ). Quant à la périodicité, le (Décret n° 2012-232 relatif à la déclaration annuelle des substances à l'état nanoparticulaire pris en application de l'article L. 523-4 du code de l'environnement ) prévoit que la déclaration doit être faite chaque année pour le 1er mai, à partir de 2013. Elle est adressée au ministre de l'environnement, mais il la transmet à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), qui assure la gestion des données collectées – art. 523-13 (CEnv.). De même, le ministre peut seul demander aux déclarants les informations disponibles sur les dangers de ces substances, l'exposition des personnes et l'évaluation des risques, mais elles sont ensuite transmises à l'ANSES. Le (Décret n° 2012-233 du 17 février 2012 relatif à la désignation des organismes mentionnés à l'article L. 523-3 du code de l'environnement) désigne les destinataires des informations ainsi collectées - C. envir., art. D. 523-22.
Retour sur expérience pour la première année de déclaration
Depuis le 1er janvier 2013, les fabricants, distributeurs ou importateurs doivent déclarer les usages de substances à l’état nanoparticulaire (en tant que telles, contenues dans des mélanges ou dans des matériaux) ainsi que les quantités annuelles produites, importées ou distribuées sur le territoire français. La déclaration doit être effectuée avant le 1er mai 2013, par voie électronique, sur le site internet crée à cet effet : http://www.r-nano.fr/. Pour sa première année de mise en œuvre la déclaration porte sur les données de 2012. Deux mois supplémentaires ont été accordés aux entreprises. De nouvelles déclarations peuvent être initiées et soumises jusqu’au 30 juin 2013 a annoncé le ministère de l’Ecologie le 7 mai dernier. A l’échéance du 30 avril 2013, 457 entreprises ont réalisé 1 991 déclarations précise le ministère. Selon ce dernier « ce premier bilan montre une mobilisation satisfaisante des acteurs concernés ». Pour autant, la diversité des acteurs visés par l’obligation de déclaration et la demande de plusieurs secteurs d’activités ont justifiés la prolongation du délai (Actu - Environnement Graziella Dode, 2013). Afin d’accompagner les industriels concernés, le ministère de l’écologie a publié une liste de questions / réponses (FAQ) répondant aux principales interrogations suscitées par la mise en œuvre du dispositif. Depuis sa mise en ligne, ce document a déjà fait l’objet de modifications : son contenu devrait encore évoluer avec les premiers retours d’expérience (EDF C. Delon, 2013).
Information des organismes publics de prévention
L'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), l'Institut national de veille sanitaire (INVS), l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et les organismes chargés de la toxicovigilance – arti. 1341-1 (Code de la santé publique) - pourront ainsi accéder aux données transmises au ministre de l'environnement, soit dans la déclaration elle-même - C. envir., art. L. 523-1, soit dans la réponse à la demande adressée pour obtenir des informations sur les dangers des substances concernées, sur les expositions des personnes ou sur l'évaluation des risques pour la santé et l'environnement. En effet, l’article L. 523-2 du code de l’environnement prévoit que les fabricants, importateurs ou « utilisateurs professionnels » de nanoparticules transmettent au ministre chargé de l’environnement (à la demande de celui-ci), toutes les informations relatives aux dangers et aux risques liés aux nanoparticules contenus dans leurs produits. (EDF, Services Etudes Médicales). La liste est limitative, mais la diversité des organismes visés témoigne de la multiplicité des domaines concernés (la protection des patients et des travailleurs au premier chef). La première échéance pour déclarer est fixée au 1er mai 2013, ce qui repousse d'autant les transmissions. Sur le plan de la prévention, on pourra s'étonner de la timidité réglementaire, qui prévoit non pas une transmission automatique mais une « mise à disposition effectuée, à la demande des organismes (…), à des fins d'évaluation des risques et dans la limite des informations correspondant à leur domaine d'expertise ». La procédure de déclaration est déjà alourdie par la nécessaire intercession du ministère de l'environnement, fallait-il encore exiger des organismes qu'ils formulent des demandes ? (CNRS, 2008)
Mise à disposition des informations collectées au public
Pour finir, le décret no 2012-232 prévoit de mettre les informations collectées à la disposition du public au plus tard 6 mois après la date limite de déclaration – art. R. 523-18 et R. 523-19 Code Env. L'arrêté du 6 août 2012, pris pour son application, précise les conditions dans lesquelles cette publicité a lieu dans le respect du secret industriel et commercial, ce qui exclut la publication de toutes les données « commercialement sensibles » et « réputées confidentielles ». On ne sait pas très bien comment cela sera fait, si cela permettra effectivement de protéger les intérêts des différentes parties. Il est, de plus, possible d'obtenir une dérogation totale au terme de l’article L. 523-1, al. 3 du code de l’environnement. Cette exception concerne les hypothèses de « sauvegarde des intérêts de la défense nationale ». L'article R. 523-20 du code de l'environnement prévoit que cette dérogation puisse être accordée en cas de « demande justifiée » transmise au ministre de la défense. Si ce dernier l'accorde, elle sera notifiée au demandeur et transmise à l'ANSES - un silence de 3 mois valant rejet. Un ( Arrêté définissant les conditions de présentation et d'instruction des demandes de dérogation relatives à la mise à la disposition du public de la déclaration annuelle des substances à l'état nanoparticulaire, 2013) est venu préciser les conditions de présentation et d'instruction de ces demandes. Il est important de noter qu'une dérogation de ce type porte uniquement sur la mise à la disposition du public des informations figurant dans la déclaration. Elle ne vaut pas dispense (suspensive) de déclaration (Lacour S. , 2010).
Sanction administrative en cas de manquement à l’obligation de déclaration
L’inconvénient, à la différence de la réglementation REACH, selon laquelle un produit non déclaré ne peut être mis sur le marché, est que cette procédure française ne conditionne pas directement la mise sur le marché des produits contenant des nanoparticules ou des nanomatériaux. Toutefois une sanction administrative est prévue en l'absence de déclaration. Le ministre de l'environnement pourra ordonner, à compter de juillet 2013, une amende de 3 000 € en cas de non transmission de la déclaration ou des informations demandées dans les temps. Cette sanction administrative d'un montant limité pourra voir son caractère dissuasif renforcé par une astreinte journalière de 300 € - Code Env. R 523-21. Pour déterminer ce qui relève du champ d'application de cette réglementation spéciale, une définition a été donnée des substances à l'état nanoparticulaire, qui rejoint partiellement la définition européenne des nanomatériaux (Gazagne, 2010).
Un parallèle avec la procédure européenne de déclaration des substances dangereuses sous REACH
En réalité, la procédure de déclaration des substances à l’état nanoparticulaire s’apparente à la procédure d’enregistrement prévue par le règlement REACH. Ces deux procédures ont bien pour finalité d’améliorer les connaissances en termes de substances chimiques circulant sur le territoire européen pour l’une, et en termes de substances à l’état nanoparticulaire circulant sur le territoire français pour l’autre. Mais dans le cadre de REACH, on est en présence d’un système beaucoup plus abouti, comportant non seulement la fameuse procédure d’enregistrement des substances, mais aussi une procédure d’évaluation, des restrictions et le cas échéant un mécanisme de substitution à travers la procédure d’autorisation et pour lesquels des appréciations ont été faîtes ci-dessus en raison de leur intérêt préventif. Comparativement, selon le cabinet Huglo Lepage & Associés, le système REACH dans son ensemble est de nature à protéger l’environnement et la santé humaine, tandis que le système français ne l’est pas. Selon ce dernier, de deux choses l’une ; soit l’objectif est la protection de la santé, auquel cas cette réglementation française est insuffisante, ou bien l’objectif n’est pas la protection de la santé, et dans ce cas la réglementation française ne poursuit pas un objectif de protection mais de recensement à portée économique ou autre. Cet avis est à nuancer puisque le recensement de la production des nanoparticules permet d’acquérir une meilleure connaissance de celles produites. Mais ce dispositif est évidemment insuffisant en termes d’évaluation des risques. Selon ce cabinet, s’ il s’agit de préparer les entreprises françaises à une future réglementation européenne sur les substances à l’état nanoparticulaire, dans ce cas, il faut se calquer plus clairement sur les définitions et mécanismes de REACH. Pour les raisons évoquées plus haut, notamment s’agissant de la définition même de substance à l’état nanoparticulaire, cette dernière observation est juste. (Cabinet Huglo Lepage - Marie - Pierre Maître & Elise Merlant, 2013).
Le cadre normatif mis en place par les lois Grenelle pour le développement et la régulation des nanotechnologies a néanmoins le mérité d’exister. Il constitue la première tentative au monde de régulation juridique de la mise sur le marché de nanomatériaux (Lacour S. , 2012). Néanmoins, faire cavalier seul, c’est faire peser sur les entreprises françaises des obligations qui n’existent pas chez nos voisins européens, ce qui s’avère en contradiction avec l’objectif global de protection de l’environnement et de la santé. Certes, aujourd’hui, le règlement REACH ne renvoie pas explicitement à la notion de « substances à l’état nanoparticulaire » (ou nanomatériaux). Néanmoins, ces dernières constituent bien des substances au sens de REACH, et entrent donc, en principe, dans le champ d’application dudit règlement. La Commission européenne a en effet rappelé dans sa communication du 3 octobre 2012 (Commission Européenne, 2012) que le règlement REACH offrait « le meilleur cadre possible pour la gestion des risques liés aux nanomatériaux » et que lors du prochain réexamen du règlement elle étudierait « les options réglementaires pertinentes, en particulier l’éventuelle modification des annexes de REACH » (Cabinet Huglo Lepage - Marie - Pierre Maître & Elise Merlant, 2013).
Si la Commission européenne conclut que REACH est effectivement la meilleure réglementation pour prévenir les risques résultant des nanomatériaux, la réglementation REACH n’est pas encore adaptée aux nanomatériaux. De plus elle consiste en une réglementation générale qui exclut les cosmétiques, les produits biocides, les déchets, les produits pharmaceutiques et médicaux, ainsi que les produits alimentaires. Tous ces produits qui contiennent des nanoparticules. Alors, pour parfaire l’appréhension de la prévention des risques résultant des nanoparticules par la loi, il convient d’examiner ces réglementations « spéciales ».