
Le principe de précaution aura-t-il raison des nanotechnologies ?
Par Audrey COUYERE
Juriste en Droit de l'Environnement et Droit du Travail
EDF
Posté le: 30/08/2013 10:15
Sans aller jusqu’à donner une place prééminente au principe de précaution, ni laisser penser que la prévention des dommages prendrait le pas sur leur réparation, l’affaire des antennes de téléphonie mobile nous conduit effectivement à admettre qu’occasionnellement ledit principe peut influencer les juges. Et les juges étant sensible à l’opinion commune, plus on communique sur la nocivité potentielle des produits issus des technologies et plus les risques qui y sont associés – fussent-ils fantasmés – donneront prise à l’application du principe de précaution par les juridictions23. Selon Coulon, il y a quelques années, il aurait été difficile de justifier d’une responsabilité préventive là ou on avait encore peine à identifier la nature et l’ampleur des craintes associées au développement de ce nouveau type de technologie. A l’heure où l’idée se fait jour d’un risque probable pour l’homme, que la recherche scientifique s’emploi à circonscrire, une responsabilité préventive pourrait naître. Nous ne saurions dire de quelle catégorie de risques, clairement identifiée ou non-identifiée, relèvent les risques nanotechnologiques. Peut – être les deux. Voilà un risque bien identifié : la propension des nanotubes de carbone à créer des lésions cancéreuses chez l’homme. Mais aujourd’hui des scientifiques prétendent créer des nanotubes sans danger pour l’homme en en limitant la taille pour en faciliter l’élimination. Et alors, dans ce cas, l’hypothèse est celle d’un risque hypothétique. Certes le principe de précaution a précisément vocation à s’appliquer aux activités impliquant un risque potentiel inscrit dans un contexte d’incertitude scientifique – c’est ce qui le distingue de la notion de prévention, qui suppose un risque identifié et avéré – mais une telle application du principe de précaution, qui justifierait qu’on engage la responsabilité de fabricants de matériaux nanostructurés pour un risque parfaitement inconnu, paraît déraisonnable. Toute activité est potentiellement dangereuse et de nature à engendrer des risques, quels qu’ils soient. Ce n’est alors pas tant la réalisation éventuelle de ces risques qui importe, mais plutôt, en amont, leur pertinence et leur gravité. Tant que les propriétés des objets nanométriques seront à l’étude et que l’on n’établit pas plus précisément en quoi et dans quelle mesure ils pourraient s’avérer nocifs pour l’homme, brandir systématiquement le principe de précaution pour engager la responsabilité des fabricants qui mettent sur le marché de l’innovation des biens nanostructurés n’aurait guère de sens ; Cela reviendrait à condamner une activité simplement parce qu’elle est susceptible d’engendrer des risques dont on ignore l’identité. On peut bien avoir peur, encore faut-il savoir de quoi. En conclusion, il paraît prématuré d’assigner une fonction préventive à la responsabilité civile.