S’agissant des dommages environnementaux potentiellement dû aux nanoparticules, une étude juridique de la Revue juridique de l’ouest envisage l’engagement de la responsabilité environnementale. La responsabilité environnementale est particulièrement récente puisqu’elle découle de la (Loi n° 2008-757 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement, 2008)et par le ( Décret n° 2009-468 relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages causés à l'environnement , 2009), textes transposant la (Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux). Ces textes définissent les conditions dans lesquelles sont prévenus ou réparés, en application du principe pollueur-payeur et à un coût raisonnable pour la société, les dommages causés à l’environnement par l’activité d’un exploitant, qui est une personne morale ou physique, publique ou privée, exerçant ou contrôlant effectivement, à titre professionnel, une activité économique lucrative ou non lucrative (CEnv.). art. L 160-1 et L 162-2.
La responsabilité environnementale n’intéresse que les dommages écologiques purs, mais pas tous les dommages écologiques purs. En dehors des cas visés par la loi, le dommage causé à l’environnement est régi par des polices spéciales ou peut être réparé sur le fondement de la responsabilité civile. La particularité de la responsabilité environnementale est d’être un dispositif hybride : bien que relevant de la police administrative, en raison de l’autorité administrative et non de celle du juge judiciaire, elle emprunte pourtant des mécanismes de la responsabilité civile. La responsabilité environnement ne s’applique qu’aux dommages écologiques graves. Ce critère révèle l’importance de la métrologie. Seule une connaissance suffisante des propriétés de la substance permet d’apprécier la gravité de l’atteinte environnementale. L’absence d’une métrologie adaptée pour les nanotechnologies constitue un obstacle à l’engagement de la responsabilité environnementale, car il sera difficile de mesurer les risques encourus par les ressources naturelles en présences de substances nanoparticulaires. Ce nouvel instrument de réparation de certains dommages écologiques purs soulève des interrogations, notamment, celle de son adaptation aux nouvelles technologies. La responsabilité environnementale pourrait-elle s’appliquer aux dommages éventuellement causés par les nanotechnologies ? Pour pouvoir répondre, il faut confronter les conditions de mise en œuvre de la responsabilité environnementale et les conditions d’exécution de la responsabilité environnementale aux spécificités des nanotechnologies.
Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile se retrouvent en matière de responsabilité environnementale. Il s’agit de l’existence d’un dommage, d’un fait générateur et d’un lien de causalité entre les deux. Pour l’étude de chacun des éléments, il convient de déterminer les dommages environnementaux concernés et le fondement de la responsabilité envisagée.
S’agissant des dommages environnementaux concernés, l’article L. 161-1 du code de l’environnement prévoit un champ d’application restreint. Les dommages pris en compte sont les détériorations directes ou indirectes mesurables de l’environnement qui créent un risque d’atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols résultant de l’introduction directe ou indirecte, en surface ou dans le sol, de substances , préparations, organismes ou micro-organismes ; qui affectent gravement l’état écologique, chimique ou quantitatif ou le potentiel écologique des eaux etc. L’application de ces conditions en présence des nanotechnologies n’apparaît pas aisée. La notion de détériorations mesurables de l’environnement est la première source de difficultés. Le dommage causé à l’environnement doit pouvoir être mesuré quantifié, ce qui suppose la connaissance préalable de toutes les caractéristiques de la matière, du produit ou de la substance à l’origine de l’atteinte. Or il n’existe pas pour l’instant d’instrument de métrologie réellement adapté à l’infiniment petit (Weill, 2008). Selon le Rapport AFFSSET (AFSSET, 2006, p. 187), des études in vitro ont montré que plusieurs facteurs entraient en ligne de compte. Les effets sur l’environnement varient en fonction de la taille, de la structure des nanoparticules, des propriétés du milieu dans lequel elles se trouvent (eau douce, salée, sol poreux, sol sableux…). D’autant que, selon Bary, si les nanoparticules sont associées à d’autres composant, de nouvelles questions se posent : l’atteinte à l’environnement résulte-t-elle des seules nanoparticules ? ou est-elle due aux effets des composants fixés ? ou enfin si elle est causé par la combinaison des nanoparticules aux composants, quel est l’impact de chacun des éléments sur l’environnement ? (Bary, 2010) De plus, la toxicité des nanoparticules sur les organismes vivants reste en conséquence pratiquement inconnue. Enfin l’absence d’information sur la capacité de dégradation des nanoparticules dans l’environnement ne permet pas d’évaluer l’impact des déchets sur l’environnement. Dans ces conditions le caractère direct de la dégradation, en présence de nanoparticules, n’est pas simple à démontrer. S’agissant de l’atteinte la réparation de l’atteinte à la santé humaine, le code de l’environnement distingue le risque d’atteinte grave à la santé humaine (art. R 161-1) des incidences démontrées sur la santé humaine (art. R 161-4). Si le risque potentiel d’atteinte grave à la santé humaine était pris en compte, les nanotechnologies pourraient davantage intégrer le champ de la responsabilité environnementale puisque leurs effets sont pour le moment encore incertains. Les dommages environnementaux réalisés comme la menace imminente de tels dommages, c’est-à-dire la probabilité suffisante que survienne de tels dommages dans un avenir proche (article L. 161-1) entrent dans le champ d’application de la loi. Selon Bary, cette définition convient pour les dommages résultant de l’effet polluant d’une activité, d’un produit ou d’une substance qui fait l’objet d’une certitude scientifique, mais elles ne convient pas aux nanotechnologies. De plus la menace doit intervenir dans un avenir proche, or dans une hypothèse d’incertitude scientifique, l’impact des nanotechnologies sur l’environnement pourrait apparaître plusieurs années après l’introduction des substances dans le milieu naturel. L’identification du dommage, difficile dans le cas des nanotechnologies, est à elle seule insuffisante pour engager la responsabilité de l’exploitant. Il faut encore établir le fait générateur et le lien de causalité entre ce dernier et le dommage.
La responsabilité environnementale encourue par l’exploitant est objective, de plein droit, lorsque le dommage à l’environnement a été causé par une des activités professionnelle visée par le décret – il s’agit principalement d’activités constituant une installation classée et des activités présentant des dangers pour l’environnement ; article R. 162-1 du code de l’environnement. Il n’est donc pas nécessaire de démontrer la commission d’une faute par l’exploitant pour faire peser sur lui la charge de la réparation. La responsabilité est subjective, c’est-à-dire conditionnée par la preuve d’une faute ou d’une négligence de l’exploitant, en cas de dommage causé par une activité professionnelle non visée par le décret. Pour l’instant, la liste des activités professionnelles engageant une responsabilité de plein droit ne comporte pas de référence aux nanotechnologies, ce qui paraît logique compte tenu des incertitudes scientifiques quant à leur dangerosité. Leur exploitation peut entraîner une responsabilité pour faute. Mais comment reconnaître l’existence d’une erreur de conduite alors que les mesures de préventions ne sont pas encore définies ? Certes des diligences sont effectuées. Mais elles sont encore générales et ne sont pas encore adaptées aux spécificités des nanotechnologies. Même le manquement à une obligation de précaution semble vain. En conséquence, la responsabilité environnementale pour faute de l’exploitant semble aujourd’hui difficile à engager.
Quant au fait générateur, celui-ci doit être survenue après le 30 avril 2007 (article L. 161-5 1°). Or l’utilisation des nanotechnologies a commencé avant cette date puisque de nombreux produits en contiennent déjà. Le fait générateur s’est donc produit antérieurement à la date d’application de la loi. La responsabilité environnementale ne pourra être engagée. Dans le même ordre d’idée, la responsabilité environnementale ne s’applique pas lorsque le fait générateur du dommage résulte d’une activité ayant définitivement cessé avant le 30 avril 2007. Par conséquent une activité liée aux nanotechnologies ayant définitivement cessé avant la dite date ne donnera pas lieu à une responsabilité environnementale de l’exploitant.
Il appartient à l’autorité administrative, et plus particulièrement au préfet de département, de démontrer le lien de causalité. En responsabilité civile, deux théories de causalité sont possibles. La causalité adéquate est la théorie selon laquelle l’antécédent du dommage considéré comme la cause est celui qui, selon le cours habituel des choses, devait normalement se produire. La théorie de l’équivalence des conditions considère que tous les antécédents nécessaires du dommage, toutes les conditions sine qua non, en sont les causes. Si le juge applique la première, il sera difficile d’établir le lien de causalité dans le cas des nanotechnologies ; les caractéristiques de la substance n’étant pas parfaitement connues, il sera difficile de démontrer que les nanoparticules sont la cause nécessaire du dommage. A contrario, si le juge applique la seconde, le lien de causalité sera établi plus facilement, puisque le simple fait de l’exploitation des nanoparticules peut être considéré comme un fait ayant concouru au dommage au même titre que d’autres faits. Surtout, dans le cas de pollution à caractère diffus, le lien de causalité sera particulièrement difficile à établir. Or c’est précisément cette hypothèse qui est émise actuellement ; les nanoparticules ont une faculté de dispersion. Les quelques assouplissement probatoires admis par la jurisprudence en matière de responsabilité civile pourront-ils être transposés à la responsabilité environnementale ? La cour admet des présomptions graves, précises et concordantes, prenant en compte des éléments de fait, des indices rendant le rapport de causalité plus que probable entre le fait générateur et le dommage (par exemple, Cass. 1ere civ, 22 mai 2008, Cass. 1ere civ., 22 janvier 2009) . La cour admet également la preuve par élimination, permettant de reconnaître un lien de causalité entre un fait générateur et un préjudice à défaut de tout autre cause possible (par exemple, Cass. 1ere civ., 8 décembre 1998). La Cour de justice de l’union européenne – CJUE – a même affirmé que la directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à l’autorité compétente de présumer l’existence d’un lien de causalité, y compris dans le cas de pollution à caractère diffus, entre des exploitants et une pollution constatée, et ce en raison de la proximité de leurs installations avec la zone de pollution ( CJUE, gr. Ch., 9 mars 2010, Raffinerie Méditerranée (ERG) SpA c/ Ministero dello Sviluppo economico). Compte tenu de ce qui précède, ce que l’on constate, c’est que lorsque les conditions de mise en œuvre de la responsabilité sont difficiles à réunir pour les victimes– et c’est particulièrement le cas dans le cas pour les nanotechnologies s’agissant de la responsabilité environnementale, la cour est plus indulgente sur la preuve du lien de causalité. Néanmoins, un minimum de connaissances quant aux effets de substances sont requis. Pour l’heure, ces assouplissements probatoires ne peuvent pas être raisonnablement envisagés pour engager la responsabilité environnementale.
Enfin, dernier coup de massue, la responsabilité environnementale est soumise à une prescription trentenaire – article L. 161-4 du Code de l’environnement. Elle a pour point de départ le fait générateur. Ce qui ne semble pas toujours adapté à la protection de l’environnement. Dans le cas des nanotechnologies, on peut envisager une pollution moins visible, occasionnant une détérioration lente, à long terme du milieu ou des ressources naturelles ou encore l’existence d’une pollution pendant un temps méconnu en raison de l’impossibilité scientifique et technique de la détecter. Par conséquent, les dommages pourraient être révélés plus de trente ans après le fait générateur. Les dommages dus aux nanotechnologies pourraient donc ne pas être réparés sur le fondement de la responsabilité environnementale.
En conclusion, la confrontation des conditions de mises en œuvre de la responsabilité environnementale aux spécificités des nanotechnologies a démontré la difficulté d’application de ce nouvel instrument juridique. Il reste les polices spéciales ainsi que le droit commun de la responsabilité civile pour l’engagement de la responsabilité du fait de dommages à l’environnement. (Bary, 2010) Le droit commun de la responsabilité civile pourrait-il figurer à l’avenir comme un moyen de protéger les consommateurs et l’environnement contre la réalisation de risques nanotechnologiques ? Selon Coulon (C., 2010), compte tenu des incertitudes scientifiques, il sera bien difficile d’engager la responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Il reste donc le recours au principe de précaution, et l’obligation de suivi de l’article 1386-12 du Code civil – obligation actuellement abandonnée par le droit positif.