
L’exploitant, débiteur principal de l’obligation de remise en état d’une installation classée après sa cessation d’activité : principe
Par Marion ZALOGA
Juriste QSE - Chargee Veille Reglementaire
SNCF - Technicentre Atlantique
Posté le: 29/08/2013 14:21
Par définition, l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) crée des nuisances, et notamment à l’environnement et plus précisément vis-à-vis du sol et du sous-sol. Quid de la remise en état d’un site après ladite exploitation ? En effet, lors de la cessation d’activité d’une installation classée, la question de la remise en état du site pollué survient (I), ainsi que la problématique de l’acteur à qui revient l’obligation de remise en état (II).
I. L’obligation de remise en état
Comme le dispose l’article L511-1 du Code de l’environnement, les installations classées pour la protection de l’environnement ont vocation à « présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ». Néanmoins, comme le souligne Monsieur Michel Prieur, « le sol n’est pas pris directement en compte par le droit de l’environnement ». En effet, la notion du sol et du sous-sol n’est pas expressément mentionnée dans le fondement textuel des installations classées. L’appréhension de cette notion est fragile, tout comme les sources qui y font référence. Maitre David Deharbe enrichit cette idée en expliquant que le droit relatif au sol et au sous-sol, et plus spécifiquement celui qui touche au droit des installations classées est un droit « bavard sur certains points et amnésique sur d’autres ». Les exploitants ont alors été contraints, en la matière, de s’appuyer sur des lois d’opportunité, sectorielles, afin de connaitre les droits et devoirs afférents à la remise en état d’un site après la cessation de l’activité d’une installation classée. Autrement dit, c’est sous l’impulsion de démarches volontaires que les industriels ont pu se conformer à un cadre réglementaire fragile. Ce cadre trouve néanmoins son essence dans la loi du 19 décembre 1917, dont émane une obligation de remise en état en vue d’un usage futur déterminé. Cette notion d’usage futur déterminé et non de « dépollution », doit se comprendre dans la mesure où il est impossible de revenir à un état de virginité du sol. En effet, l’étendu des connaissances techniques actuelles implique qu’une « dépollution » du sol ne peut être assurée, et ce, au-delà du fait que certaines techniques connues ne sont pas économiquement viables. L’exploitant, lors de la remise en état de son site, va alors rechercher un état sanitaire donné, acceptable, en vue de se conformer à l’usage futur du site qui a été déterminé.
En ce sens, un arrêt « société La Quinoléine » du Conseil d’Etat en date du 24 mars 1978 (n°01291), est venu fixer le caractère objectif de la remise en état. Celui-ci est fondé sur le lien entre l’activité industrielle passée et les nuisances spécifiques qui seront directement rattachées à l’exploitation. De ce fait, un exploitant peut voir sa responsabilité recherchée, dans un délai de recours fixé à 30 ans, si des pollutions du fait de son activité récemment stoppée, ou de son activité passée, ont pu ou continuent à occasionner des nuisances. Il est à noter que ce délai de prescription de 30 pour agir commence à compter du jour de la cessation de l’activité, une fois que l’exploitant sera détaché de toutes obligations administratives. Le caractère objectif est en somme caractérisé par le lien direct, le lien de causalité entre le débiteur principal de l’obligation et le rapport aux pollutions constatées sur ce site. Ceci a été confirmé par un arrêt « Ministre de l’environnement contre PCUK » du Conseil d’Etat du 11 avril 1986, qui précise également qu’il importe peu, pour que la responsabilité du débiteur principal de l’obligation soit recherchée, que l’installation classée mise en cause soit régulièrement en activité. Cette jurisprudence a été notamment confirmée par un arrêt « Ministre de l’environnement contre société Wattelez » du Conseil d’Etat du 21 février 1997, fondement de divers principes environnementaux relatifs aux installations classées (jurisprudence Wattelez I).
Au regard de ces jurisprudences il convient alors de conclure que cette obligation de remise en état du site est rendue obligatoire. Celle-ci incombe en principe au dernier exploitant du site en activité. Et, à défaut d’exploitant, il est coutume de confier dans une certaine mesure cette charge de remise en état du site, à l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie), et de ce fait c’est à l’Etat de s’acquitter de cette obligation. Il convient alors, même si la détermination du dernier exploitant comme débiteur principal de l’obligation de remise en état semble clairement identifiée, de définir plus aisément la notion d’exploitant.
II. L’exploitant comme débiteur principal de l’obligation de remise en état
La loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages a introduit divers articles dans le Code de l’environnement qui posent le principe de la remise en état du site après cessation d’activité des lieux d’exploitation occupés par des installations classées pour la protection de l’environnement, en fonction de l’usage. Plus précisément les articles L512-6-1 (pour les installations soumises à autorisation), L512-7-6 (pour les installations soumises à enregistrement) et L512-12-1 (pour les installations soumises à déclaration), traitent de cette obligation de mise en sécurité du site et de remise en état, en visant l’exploitant de l’installation comme responsable de ces obligations. Il peut alors être lu que « lorsque l’installation […] est mise à l’arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel qu’il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L511-1 et qu’il permette un usage futur du site déterminé conjointement avec le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, et s’il ne s’agit pas de l’exploitant, le propriétaire du terrain sur lequel est sise l’installation » (article L512-6-1). Il est à noter que cet article diffère dans l’écriture, selon le régime concerné par l’installation classée, mais il demeure foncièrement le même en substance. C’est au regard de ces dispositions qu’il peut être conclu que le débiteur premier de la remise en état du site est l’exploitant, au regard des pollutions qu’il a généré.
C’est en ce sens que le Conseil d’Etat justifie la plupart des décisions rendues en la matière, en employant le considérant suivant : « l’obligation de remettre en état le site de l’installation pèse sur l’exploitant à moins qu’il n’ait cédé son installation et que le cessionnaire se soit régulièrement substitué à lui en qualité d’exploitant ». Il faut alors comprendre par cession régulière, le fait qu’un nouvel exploitant ne dispose pas librement de son obligation de remise en état. Plus précisément, dans le cas de la cession, cette obligation de remise en état ne peut être valide qu’avec la sanction de l’administration sur le transfert de la qualité d’exploitant. Ceci est également justifié par le fait qu’en principe, les contrats de droit privé sont par nature inopposables à l’administration des installations classées. Il faut alors que l’autorité administrative soit mise au courant des intentions de l’ancien et du nouvel exploitant pour que les actes pris à partir de la cession soit opposables. La simple existence d’un contrat entre l’ancien et le nouvel exploitant ne suffit donc pas, et le dernier exploitant ne pourrait se dégager en ce sens, des ses obligations au regard de la réglementation des installations classées.
En conclusion, l’exploitant sera celui qui est présenté et revendiqué en tant que tel ou régulièrement déclaré comme tel auprès de l’administration préfectorale. En ce sens, un arrêt « Communauté de commune de Fécamp », a jugé que le titre administratif institue comme une présomption d’exploitation aux yeux du juge.
La jurisprudence a quelque fois complété cette définition en association à la qualité d’exploitant le fait que cette personne ait acquis l’ensemble des éléments d’actifs corporels et incorporels composants le fonds de commerce de l’installation classée (arrêt Cour administrative d’appel Nancy, 3 avril 1997 « société Mecasil » ; arrêt Cour administrative d’appel Nantes, 6 octobre 1999 « société Echofer Rouen » ; et arrêt Cour administrative d’appel Paris 23 mai 2001 « société Podelval). Elle admet donc le transfert de la qualité d’exploitant à un autre exploitant qui aura fait l’objet d’une cession régulière d’actifs. Mais ceci reste très casuel et déroge au principe selon lequel les conventions de droit privé sont inopposables en droit administratif et donc au droit des installations classées. Cependant un arrêt « Maitre Jeanne » de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 29 janvier 1999 est venu contredire cette possibilité en refusant la qualité d’exploitant à un actionnaire qui n’avait reçu qu’une partie de l’actif. Cette notion de cession d’actif n’est donc prise en compte que dans des cas spécifiques répondant à une cession d’actifs d’une grande envergure, et régulière de surcroit.
Dans la même optique, le tribunal administratif de Dijon a estimé dans un arrêt « SA SG Holding » du 23 janvier 2001 qu’il était impossible de rechercher la responsabilité d’un actionnaire à la place de celle de l’exploitant. Et ce, même si l’actionnaire en question est majoritaire. Cette décision doit toutefois être nuancée dans deux hypothèses précises qui sont celles de la théorie de l’apparence et de l’immixtion de l’actionnaire dans la gestion de l’activité (CAA Douai, « Société Oxilor », 26 juillet 2001), ou en cas de fictivité de la société exploitante (arrêt CE « Société LORMINES », 29 octobre 2001).
Il est à noter également, qu’en principe, en cas de pluralité d’exploitants sur le même site, l’obligation de remise en état n’est pas divisible (arrêt Cour administrative d’appel Lyon « Entreprise MG Pneus Guizzardi », 23 juin 1998). L’obligation pèse alors sur le dernier exploitant lors de la cession d’activité. Ce débiteur unique aura donc à sa charge les nuisances générées par son activité, mais également celles générées par l’activité antérieure. Toutefois, il est des jurisprudences qui justifient une possible division de cette obligation au regard du principe du lien direct. En effet, les juges ont de plus en plus tendance à affirmer que l’exploitant ne peut être responsable que des activités dont il peut lui être imposé nettement la paternité. Les pollutions qui lui seront imputées seront alors considérées au regard des actes administratifs précédents que celui-ci aura édicté. Les pollutions trouvant leur origine avant la constitution des actes administratifs liés au dernier exploitant seront alors retournées à leurs prédécesseurs.
Dans le cas particulier de mêmes pollutions générées par une succession d’exploitant, pour la même activité, l’arrêt « SERACHOM » du Conseil d’Etat du 8 septembre 1997 est venu préciser que l’obligation de remise en état du site de l’exploitant pèse sur le dernier exploitant, à moins qu’il n’ait cédé son exploitation (et de ce fait les pollutions qui y sont liées), et que le cessionnaire se soit régulièrement substitué à lui en qualité d’exploitant.
A travers cette volonté de caractérisation stricte de la qualité d’exploitant, il faut y voir une volonté de l’administration, et plus largement de l’Etat, de se protéger d’une charge d’obligations supplémentaires. Et ce, même si une circulaire du 26 mai 2011 relative à la cessation d’activité d’une installation classée a indiqué que dans certains cas particuliers, le périmètre d’intervention de l’ADEME pouvait être élargi « à la remise en état du site pour un usage comparable à celui de la dernière période d’exploitation », et non se limiter à la mise en sécurité initiale du site.
Pour apprécier le fait que l’Etat veuille se décharger de ce type d’obligations il peut être pris en considération l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy « ministère de l’aménagement du territoire » du 2 aout 2001 dans lequel la cour a estimé qu’un exploitant demeure tenu de ses obligations de remise en état, quand bien même le terrain pollué à été exproprié au profit de l’Etat.