Depuis un décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux Manufactures et Ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode (modifié par un décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation administrative), il a été confié aux juges des installations classées des prérogatives spécifiques, du fait de leur proximité avec les conseils de préfecture et des décisions qui en émanaient. Concomitamment, s’est alors fait ressentir une volonté de protéger le droit de propriété et la liberté du commerce et de l’industrie, et donc de mettre en œuvre un recours de pleine juridiction. Ceci est en réalité la consécration des lois du 6, 7 et 11 septembre 1790 ayant pour objectif de donner compétence aux organes administratifs pour connaitre des éléments essentiels du contentieux administratif. Ces lois ont, en autre, confié au juge administratif un rôle spécial qui est celui d’administrateur-juge, dans le cadre du droit des installations classées. Depuis, et après l’ordonnance du roi du 14 janvier 1815 confirmant cette spécificité du juge des installations classées, ceci n’a jamais été contesté.
Désormais, on parle du « plein contentieux spécial des installations classées », exercice d’un office juridictionnel particulier.

Au sein du contentieux des actes administratifs intéressants l’environnement et les polices spéciales, cette spécificité se distingue du contentieux indemnitaire des installations classées ainsi que du contentieux ordinaire des installations classées. Le contentieux indemnitaire vise la réparation des dommages causés à l’exploitant ou aux tiers du fait de l’exercice par l’administration des pouvoirs de contrôle ou de surveillance qu’elle exerce sur les installations classées. Le contentieux ordinaire des installations classées, quant à lui, est caractérisé par le contentieux de l’excès de pouvoir, et plus précisément par le recours pour excès de pouvoir (REP). Ce dernier a pour unique but de demander l’annulation d’une décision administrative, fondant alors ce recours sur la violation par cette décision d’une règle de droit. Ainsi, un acte pris par l’administration au titre de la police des installations classées, exclu du champ d’application du contentieux spécial, et édicté par une personne morale de droit public (ou une personne morale de droit privé ayant des prérogatives de puissance publique) pourra être annulé grâce à ce type de recours. Il est alors question d’un contrôle strict de la légalité.

I. Le champ d’application du plein contentieux spécial des installations classées

Pour actionner un recours dans le champ d’application du contentieux spécial des installations classées, le requérant doit répondre à un certain nombre de critères.
Selon l’article R514-3-1 du Code l’environnement (issu du décret n°2010-1701 du 30 décembre 2010 – article 2), les requérants visés seront soit des demandeurs ou exploitants, soit des tiers. Plus précisément les dispositions du Code précise que les décisions mentionnées au I de l’article L514-6 et aux articles L211-6, L214-10 et L216-2, peuvent être déférées à la juridiction administrative par les demandeurs ou exploitants, ou par des tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l’installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L211-1 et L511-1 du Code de l’environnement. Il s’agit alors de catégories particulières de requérants.
De plus, et comme pour tout recours, les requérants doivent justifier d’un intérêt et d’une qualité à agir. Et ce, en supplément de la capacité à agir qui est une capacité juridique de mener une action en justice, autrement dit, l’aptitude pour un requérant à avoir des droits et des obligations et à les exercer soi-même. Cette condition subjective de recevabilité doit s’apprécier à la date où le recours est exercé (arrêt CE, 6 octobre 1965 « Marcy »). L’intérêt doit alors être direct et personnel pour les personnes physiques, et direct, certain, actuel et légitime (article 31 Code de procédure civile) pour les personnes morales. Ceci justifiera alors la qualité à agir du requérant contre lequel l’acte fait directement grief aux intérêts qu’il défend.
Sur la notion de délais de recours, il est de préciser, qu’il en existe deux différents en fonction de la catégorie de requérant. En effet, les dispositions du Code de l’environnement précisent que pour les demandeurs ou exploitants, ce délai est de deux mois, à compter de la date à laquelle la décision leur a été notifiée (l’édiction de l’acte), et qu’il est d’un an à compter de la publication ou de l’affichage de ces décisions, pour les tiers. Pour les tiers, l’article R514-3-1 dudit Code précise également que « toutefois, si la mise en service de l’installation n’est pas intervenue six mois après la publication ou l’affichage de ces décisions, le délai de recours continue à courir jusqu’à l’expiration d’une période de six mois après cette mise en service ». Il est à noter également que ce délai de recours d’un an a été modifié par le décret n°2010-1701 du 30 décembre 2010. En effet, depuis 1976, ce dernier était de 4 ans. Il s’agit désormais d’un délai de recours de droit commun, qui comporte néanmoins deux tempéraments en matière de carrières et d’éoliennes. Dans ces cas précis, les délais de recours sont alors réduits à 6 mois.

Les actes attaqués par les requérants dans le cadre du contentieux spécial des installations classées peuvent être des actes relatifs à la création d’installations classées (exemple : les arrêtés d’autorisation et les récépissés de déclaration), des actes relatifs au fonctionnement et à l’évolution des installations (exemples : des prescriptions complémentaires, des renouvellements de demandes d’autorisation ou de déclaration, des décisions relatives à la remise en état d’un site ou à un changement d’exploitant, etc.), des actes relatifs au contrôle des installations classées par l’administration, ou encore, des décisions relatives aux activités non comprises dans la nomenclature des installations classées. Autrement dit, des actes liés de près ou de loin aux conditions de naissance, de vie et de mort d’une installation classée.

Dans un premier temps, ce contentieux pourra s’observer devant le tribunal administratif territorialement compétent (ratione loci), en d’autres termes, devant le tribunal dans le ressort duquel l’autorité compétente a donné son accord pour l’exploitation de l’installation (article R312-7 Code de Justice administrative). A noter, qu’il s’agit bien souvent du même lieu que celui de l’exploitation de l’installation. Puis, s’il y a lieu, devant la Cour Administrative d’Appel compétente. Par exemple, des prescriptions ordonnées en premier ressort pourront être complétées en appel (arrêt CE, 10 janvier 1978, n°3.006 « Bounaix »). Et enfin, le pouvoir de cassation relèvera du Conseil d’Etat.

II. Les pouvoirs du juge du plein contentieux spécial des installations classées

Le régime de plein contentieux, offre au juge des pouvoirs beaucoup plus étendus que dans les procédures ordinaires de recours (comme le REP). Ceci lui permet non seulement d’annuler mais aussi de réformer la décision attaquée, ou d’en prendre une autre.
Mais il est tout d’abord de considérer que ce contentieux se divise en deux types de contrôles, à savoir le contrôle a minima et le contrôle a maxima. Il est ici question d’une compétence à deux vitesses. Le contrôle a minima est celui de la légalité de l’acte. Il se rapproche du contentieux de l’excès de pouvoir, mais s’en distingue tout de même par certaines particularités comme la règle de la décision préalable (et subordonne de ce fait la recevabilité des requêtes déposées devant lui à l’existence d’un acte administratif faisant grief), et également par des moyens d’illégalité susceptibles d’être évoqués classiquement, mais en vue d’obtenir l’annulation précise d’un acte intrinsèquement lié à la thématique des ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement). Le contrôle un contrôle a maxima, pour sa part, est celui du juge-administrateur, sujet de ce développement.
Lorsqu’il est question de ce rôle de juge-administrateur, l’intérêt majeur réside dans les pouvoirs que le juge exerce. Au-delà des procédures classiques de droit administratif qui lui sont soumises, le juge va être habilité à faire « acte d’administrateur ». En ce sens, il pourra aller au-delà de la simple annulation ou de la simple confirmation de la décision administrative pour les actes liés par leur nature aux ICPE. Autrement dit, il pourra adresser des injonctions à l’administration, et substituer, dans certains cas, sa propre décision à celle prise par l’autorité administrative. Dans ce cas précis, le juge des installations classées sera saisi pour trouver au dossier des contradictions, des insuffisances, ou des carences, pour lesquelles il pourra vider le débat et dicter lui-même une décision cohérente au regard des éléments présents au dossier.

Il pourra alors, à l’égard de l’administration, exercer un pouvoir d’injonction, où il enjoindra l’administration de faire dans un délai déterminé et selon les modalités prescrites (CAA CAA Nancy 2 mars 2000 « SA Bieber » n°97NC02358). Pratiquement, le juge des installations classées pourra :
- Enjoindre au préfet de compléter des prescriptions de fonctionnement prévues dans l’arrêté initial autorisant l’exploitation d’une installation classée (CE 27 janvier 1978 « Cadoux » n°90137 et TA Caen 3 novembre 1998 « Ass des pécheurs de salmonidés de la Manche » n°97-271).
- Enjoindre au préfet, pour une installation en cours de fonctionnement, d’imposer des prescriptions additionnelles pour mieux prévenir les dangers ou inconvénients résultant de l’exploitation (CAA Lyon 7 décembre 1999 « Comité d’Izeaux pour la défense de la qualité de la vie » n°98LY00059 – pour le cas d’une décharge de déchets industriels).
- Demander au préfet d’actualiser des prescriptions de remise en état d’un site à la suite d’une cessation d’activité pour en prendre en compte des modifications dans l’usage futur du site (CAA Nancy 25 juin 1998 « Ministre de l’Environnement » n°95NC01139)
- Annuler une décision de refus d’autorisation d’exploitation, et enjoindre parallèlement au préfet de délivrer, dans un délai déterminé, l’autorisation d’exploiter avec des prescriptions de fonctionnement contenues dans le projet d’arrêté initialement soumis (TA Grenoble, 16 février 2000 « Société Mermier » n°982042 – pour l’exploitation d’une carrière).
- Ordonner au préfet de mettre en demeure un exploitant sans titre, de déposer un dossier de régularisation, sans pour autant avoir à suspendre le fonctionnement de cette installation pendant l’instruction (TA Lille, 6 juillet 1995 « M. Philippe Tassart » n°94-640).
- Ou encore, enjoindre au préfet de mettre en demeure un exploitant pour qu’il se conforme aux prescriptions qu’il ne respecterait pas (TA Toulouse, 14 novembre 1996, « Lannoy c/ préfet de l’Aveyron », n° 049857 et CAA Nancy, 2 mars 2000 « Société Bieber » n°97NC02358)

Au-delà de ces prérogatives visant le préfet, le juge des exploitations classées détient également des pouvoirs à l’égard de l’exploitant. En effet, dans certains cas de figure, et au regard du dossier qui lui sera soumis, le juge pourra substituer sa propre appréciation et sa propre décision à celle de l’administration. En ce sens, il a été admis, que les dispositions de l’article L514-6 du Code de l’environnement permettent au juge « de substituer sa propre décision à celle qui est contestée, sous réserve de respecter les mêmes règles de procédure exigée du préfet » (CE, 15 déc. 1989, n°70.316, Sté SPECHINOR, RJE 1990, p. 243 confirmé par TA Clermont-Ferrand 20 juin 2000 « M. Pierre Giraud c/ préfet du Puy de Dôme » n°0000438).
En sa qualité de juge administrateur, il aura alors un large pouvoir de réformation à l’encontre des autorisations initiales et des arrêtés complémentaires. En ce sens, il pourra aggraver les prescriptions de fonctionnement à la demande des tiers, voire de l’administration à l’occasion de procédure contentieuse (CE 24 octobre 1986 « Ministre de l’Environnement – SIVOM pour l’équipement et l’expansion du canton Sigean » n°61.006), et ce, par exception au principe de l’irrecevabilité des demandes de l’administration tendant à ce que le juge ordonne les mesures qu’elle peut prendre elle même (CE 30 mai 1913 « Préfet de l’Eure »). Ou bien, atténuer, à la demande de l’exploitant, des prescriptions qui lui paraissent excessives ou non justifiées. Mais d’une manière générale, il est surtout question d’imposer les prescriptions complémentaires nécessaires à la défense des intérêts protégés par l’article L511-1 du Code de l’environnement, alors même qu’aucune demande n’a été formulée (CA 11 décembre 1987 « SARL Sodérapor » n° 73.570 ; CE 7 octobre 1988 « Société Flamary » n°86.065 ; TA Nantes 7 février 1991 « Ass de sauvegarde du patrimoine rural de Montfort » n°88-48 ; CAA Lyon 25 avril 2000 « Frapna » n°98LY00032).
Le juge administrateur aura également le pouvoir d’accorder lui même à l’exploitant l’autorisation refusée par l’administration, s’il estime que l’installation peut fonctionner sans atteinte excessive aux intérêts protégés par l’article L511-1 du Code de l’environnement (arrêt du CE du 16 octobre 1958 « Ministre de l’Industrie et du Commerce c/ la Société Les Tanneries de la Seine » n°9.858 »). Suite à cet accord, deux options s’offriront alors au juge pour l’établissement des prescriptions de fonctionnement, à savoir, soit fixer lui même les prescriptions (lorsque l’état du dossier lui permet), soit renvoyer le bénéficiaire de l’autorisation qu’il a délivré devant le préfet pour les déterminer.

De manière plus sévère, le juge administrateur pourra user des pouvoirs de l’article L514-2 du Code de l’environnement qui permettent la régularisation des installations fonctionnant sans autorisation (du fait d’une absence de titre ab initio ou de l’annulation contentieuse du titre initial). Il en résultera de ce fait des mises en demeure de régularisation dans un délai déterminé (CAA Lyon 21 juin 1994 « M. Jean Terrolle » n°92LY01579 ou CE 4 mai 1998 « M. Téallier » n°161336).
Par la suite, le juge pourra alors, ordonner la restitution de tout ou partie des sommes consignées, lorsque les travaux prescrits sont en cours de réalisation ou d’achèvement (garanties financières) : CAA Nancy 27 septembre 2004, n°01NC00561, « SARL entreprise Robert Losserand ».

Il est à noter que, quand l’absence de l’autorisation résulte de la décision du juge lui-même, le juges des installations classées peut mettre en demeure l’exploitant de déposer un dossier de demande d’autorisation et lui accorder une autorisation temporaire de fonctionner (exemple : TA Poitiers, 3 février 2000 « Ass De l’eau pour tous » n°98234 pour l’exploitant un élevage de turbos), ou bien suspendre le fonctionnement de l’installation jusqu’à la délivrance de l’éventuelle autorisation (TA Pau 4 novembre 1986 « Crouillebois »).
Sa décision sera prise au regard de l’intérêt général tiré des conséquences d’ordre économique et social qui résulteraient d’une interruption ou non du fonctionnement des installations en service (TA Lille 20 octobre 1998 « Ass Opale Environnement c/ préfet du Pas-de-Calais » n°96-1800 et TA Amiens, 19 avril 1983 « Commune de Cuffies »).

Enfin, le juge des installations classées dispose également des pouvoirs de sanction administratives prévus à l’article L514-1 du Code de l’environnement, pour les installations régulièrement mises en service dont l’exploitant ne respecte plus les prescriptions de fonctionnement. Comme par exemple, ordonner à l’exploitant de suspendre le fonctionnement de l’installation (TA Lyon 2 mai 1990 « Société Moulin » n°8942701), ou prononcer lui même la mise en demeure et fixer le délai à l’expiration duquel l’installation sera suspendue en l’absence de mise en conformité de l’installation par l’exploitant (TA Amiens, 22 avril 1986 « Féron » n°10171).

Il est à noter que le juge des installations classées (que ce soit en première instance ou en appel), exercera son office au regard du droit applicable à la date à laquelle il statue pour les questions de fond. En effet, le droit commun va être le droit de l’acte. Toutefois, conformément au principe de non rétroactivité des règles de procédure (CE, 15 janvier 1975 « Sieur Honnet »), le juge des installations classées applique les règles de procédure en vigueur à la date de l’acte administratif litigieux (CE 15 octobre1990 « Ass. Aquitaine Alternatives » n°67.275 et CE 15 octobre 1990 « Province de la Hollande septentrionale » n°80.523). Et notamment pour être en adéquation avec les règles de l’urbanisme applicable à l’époque, qui ont vocation à évoluer au cours de la vie de l’installation.