VICTIMES DES BIOCARBURANTS : IMPACTS DE LA CANNE A SUCRE DANS L'OUEST DU NICARAGUA
Par Olivia GAST
Avocat
oliviagast@gastmenguyavocats.com
Posté le: 26/11/2008 21:34
Rapport – Conférence au Centre de droit international de l'environnement, à Washington, D.C.
Le mercredi 24 septembre 2008
VICTIMES DES BIOCARBURANTS : IMPACTS DE LA CANNE A SUCRE DANS L'OUEST DU NICARAGUA
Au Nicaragua, Amérique Centrale, on trouve beaucoup de plantations de canne à sucre. Les hommes qui travaillent dans ces champs souffrent d'insuffisance rénale chronique (maladie du rein) dont le seul traitement définitif est un transfert de rein hors de prix. Un tiers d'entre eux sont en phase terminale et soixante hommes meurent chaque mois. Un nombre disproportionné d'entre eux est employé par l'Ingenio (sucrerie) San Antonio (du Nicaragua Sugar Estates Limited ou NSEL – qui appartient au puissant groupe de la famille Pellas) à Chichigalpa.
La maladie est très vraisemblablement causée par les pesticides utilises dans les plantations, et les conditions de travail des ouvriers. Ils ne sont pas correctement protégés, souffrent de surmenage, des températures élevées, du manque d’eau potable et donc de déshydratation. Mais même s’ils étaient pourvus de combinaisons protectrices, ils ne les porteraient pas car il fait beaucoup trop chaud.
De plus, ils souffrent de problèmes respiratoires causés par les nuages de fumée et de cendrée rejetés lors du processus de brûlage des champs de canne à sucre avant la récolte. Par ailleurs, en raison du phénomène de résistance, les doses d’engrais polluant doivent continuellement être augmentées, aussi la situation est-elle de pire en pire. Enfin, les cultures menacent les ressources en eau.
Mais il est extrêmement difficile d’obtenir des informations, et avec elles des preuves, comme par exemple quels sont les produits chimiques exacts utilisés, et dans quelles concentrations. La Société a le contrôle de la publicité aussi n’y a-t-il aucune couverture médiatique du problème (pour le moment). Officiellement, la Société utiliserait seulement des substances autorisées. Mais il n’y a pas de contrôle par l’administration. Une équipe d’élèves chercheurs de l’Université de Yale est venue et a tenté de faire des analyses, mais ils ont été forcés par la Société à se cantonner à une zone très petite et non représentative de l’ensemble. Il existe de fortes raisons de penser que le dangereux produit chimique « DBCP » (1,2-Dibromo-3-chloropropane), proscrit des USA depuis 1979 mais pas à l’étranger, y serait utilisé.
NSEL fait régulièrement tester les ouvriers, et quand la maladie est diagnostiquée, ils sont licenciés, ce qui compromet leur survie. Alors ils se font réembaucher illégalement pour continuer à gagner leur vie, perdant ainsi tout droit à la sécurité sociale alors même qu’ils continuent à être exposés aux produits chimiques.
Une loi a été votée déclarant l'insuffisance rénale chronique comme une maladie du travail ; mais le Président Balaños a opposé son veto. Il a été dit qu’une telle loi mettrait la sécurité sociale en faillite. De plus, Carlos Pellas (le chef du groupe Pellas) a menacé de fermer l’Ingenio si la Société était déclarée responsable de la maladie.
Dans cette situation, les ouvriers on tenté de former un syndicat, ce qui les a fait renvoyer. Ils ont alors essayé d’agir contre leur employeur NSEL, mais cela coûte très cher et en raison de la corruption du gouvernement, des personnes ont été tuées et la Police a « perdu » des dossiers des plaignants dans l’intérêt de la Société.
Quelle issue pour eux à présent ? Il n’existe pas de Cour environnementale internationale, absence qui manque cruellement ici. Ils ne peuvent agir ni contre la Société ni contre le gouvernement.
En définitive, le but de cette action devrait être de conduire la Société à améliorer ses pratiques et changer de produits chimiques, et, plus important encore, d’amener l’administration à rehausser ses exigences et à procéder à de véritables contrôles. Personne ne tient à ce que la Société s’en aille ou fasse faillite laissant ainsi les ouvriers au chômage.
Pour alerter la communauté internationale de cette situation désespérée, Catawumpus Films est actuellement en production du documentaire « The Affected » (www.affectedmovie.com). Le réalisateur Jason Glaser a également créé une ONG, La Isla Foundation, qui mène plusieurs projets pour aider les ouvriers malades et leurs familles en évitant la confrontation et coopérant avec des groupes locaux et régionaux.
Par ailleurs, il y a un fait très important à signaler : En 2006 la NSEL a reçu un prêt de 55 millions de dollars de la part de la Société Financière Internationale (Institution du groupe de la Banque Mondiale chargée des opérations avec le secteur privé) pour augmenter sa production de canne à sucre et financer la construction d’une usine d’éthanol. La majeure partie de la production va ainsi être utilisée pour fabriquer du biocarburant, de même qu’un pourcentage en augmentation des cent quarante-cinq millions de tonnes de sucre produites chaque année dans le monde. Bien que les avantages de l’utilisation des biocarburants comme alternative aux carburants fossiles soient beaucoup mis en avant, les coûts en sont souvent très significatifs et pourtant négligés. La production de canne à sucre destinée aux biocarburants par exemple, bien que celle-ci ne fasse pas augmenter les prix de la nourriture (à la différence d’autres biocarburants), peut peser très lourdement sur l’environnement et les populations qui y travaillent.
Cependant, il existe un mécanisme permettant aux communautés victimes de violations des normes environnementales et sociaux d’en référer à la SFI : le Médiateur Conseil du Bureau de conformité (CAO).
Le 31 mars 2008, Kris Genovese, avocate à CIEL, Centre de droit international de l’environnement www.ciel.org - une organisation à but non lucratif travaillant sur l’usage des institutions et du droit international pour la protection de l’environnement, la promotion de la santé de l’Homme, la défense d’une société juste et durable – a aidé les travailleurs et membres de la communauté à engager une action envers le CAO, avec preuves de violation des normes par NSEL à l’appui.
Il y a trois groupes de travailleurs dans la plainte : les anciens travailleurs de canne à sucre, les membres de la communauté, et les travailleurs licenciés. Le but est de faire en sorte que la SFI fasse pression sur les sociétés pour qu’elles améliorent leurs normes, par exemple en raccourcissant les délais de remboursement des prêts.
Les violations des règles de la SFI concernent la pollution de l’air ; le mauvais usage des eaux souterraines ; les déchets toxiques (par exemple, l’absence de déclaration d’impact environnemental) ; le droit du travail, comme l’absence de concertation, de réparation et de prise en compte des plaintes ; l’insuffisance des normes de sécurité ; les déchets indigènes et la violation des droits des communautés indigènes (la société va jusqu’à nier leur existence même !) ; la « due diligence » de la SFI.
Il s’agit du premier dossier pris en main sous les nouvelles normes de performance de la SFI. La question du rôle de la SFI dans le financement des biocarburants est importante et il est nécessaire de l’approfondir. Si vous vous sentez concerné, vous pouvez vous impliquer et aider à ce lien : http://affectedmovie.com/TheAffected.html.
Pour plus d’informations, contactez Kristen Genovese à kgenovese@ciel.org, Jason Glaser à laislafoundation@gmail.com ; lisez cet article de Jason Glaser: www.thegringo.com/index.php?articleID=15280§ionID=298; visitez le lien de la requête de CIEL: http://www.ciel.org/Publications/NSEL_Complaint_31Mar08.pdf;