
Le projet sur l'agro-écologie de Madame Guillou remis au Ministre de l'agriculture
Par JIMMY HUSSON
Posté le: 24/07/2013 18:55
Systèmes d’exploitation agricole : concilier compétitivité et respect de l’environnement dans le cadre d’un projet agro-écologique.
Dans le cadre du projet agro écologique pour l’agriculture française, Stéphane Le Foll a demandé à Marion Guillou, présidente directrice générale de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de 2004 à 2012 où elle a œuvré à réconcilier agriculture, alimentation et environnement, d’identifier les pratiques et systèmes à promouvoir et les mesures propres à permettre leur développement.
« Elle a conduit ce travail avec quatre lignes directrices: sortir du dilemme, encouragement à la production agricole d’un côté, contraintes environnementales de l’autre, pour concevoir et mettre en œuvre des systèmes de production à la fois compétitifs et durables, capitaliser les démarches de pionniers en France et à l’international, et en tirer des enseignements sur les méthodes collectives d’innovation des groupes d’agriculteurs, inciter plutôt que contraindre, car pour favoriser les démarches et pratiques innovantes, il faut éviter la sur-réglementation qui ne laisse plus de marge de manœuvre, permettre une diversité de systèmes adaptés aux conditions locales, du milieu et de l’organisation des acteurs, et pour cela remettre au centre les groupes d’agriculteurs, leurs projets et leurs démarches agronomiques. »
Suite à la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture française a su répondre à la demande de la population en produisant pour nourrir, puis pour vendre, enfin pour répondre à une demande alimentaire diversifiée. Par le biais du soutien public, direct (PAC, lois agricoles nationales) et indirect (recherche, formation et développement), la productivité des facteurs de production des secteurs agricole et agro-alimentaire a progressé. Un réseau dense s’est crée au sein des filières et des territoires entre agriculteurs, fournisseurs, industriels agro-alimentaires et organisations para-agricoles. La forte dépendance d’une majorité de systèmes agricoles aux énergies fossiles, en particulier les engrais azotés de synthèse et l’alimentation du bétail, les atteintes négatives à l’environnement dans les quatre dimensions du sol, de l’eau, de l’air et de la biodiversité, les signaux actuels de marché avec des prix des céréales et des oléagineux très élevés, encouragent la tendance à la simplification des successions culturales, au raccourcissement des rotations, à la spécialisation et à l’agrandissement des exploitations, et à l’abandon des productions animales au profit des grandes cultures là où les conditions naturelles permettent une telle reconversion. Les outils des politiques publiques européennes, nationales et régionales ne compensent plus les différences de revenus et de conditions de vie entre les différentes orientations de production.
La France agricole et agro-alimentaire progresse dans un contexte d’augmentation de la demande mondiale et de prix orientés à la hausse sur le moyen et long terme, fluctuants du fait de la financiarisation des économies, d’incertitudes sur les politiques commerciales et agricoles internationales, du changement climatique. Il s’agit donc de développer et accompagner des systèmes de production agricole à la fois productifs, compétitifs, économes en ressources et respectueux de l’environnement.
PROPOSITIONS
Le passage à des agricultures performantes sur les plans économique et environnemental ne peut démarrer que si elle s'appuie sur un ensemble de référentiels techniques solides capitalisées au sein d'un système d'information qui constituera des ressources utiles pour adapter les référentiels de formation des agriculteurs, et former les conseillers agricoles aux principes de l'agro-écologie et pour les distribuer plus auprès de groupes d'agriculteurs prêts à s'y engager.
Le contexte économique poussant à la simplification et à la spécialisation des cultures, des systèmes agro-écologiques plus contraignants en charge de travail, plus complexes et plus sensibles aux aléas s’opposent au changement. Cela suppose la mise en oeuvre de mécanismes incitatifs et l’encouragement des collectifs d'agriculteurs au sein des GIEE, ainsi que l'amont et l'aval des exploitations agricoles et les acteurs des territoires. Les propositions s’articulent en grands chapitres relatifs aux données et aux références, à la formation et au conseil, et enfin aux incitations.
Cela implique de mieux caractériser et identifier les systèmes potentiellement doublement performants par une adaptation des outils de la statistique publique au service de l’étude de la double performance; l’emploi du CASDAR, instrument budgétaire traditionnel de la politique du développement agricole et rural qui est le bras armé financier de la mise en oeuvre du Programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Il doit être « un levier pour capitaliser et mettre en commun les données et les références techniques ». Cela suppose d’orienter les appels à projets du CASDAR vers la conception d’une agriculture doublement performante; de mettre en place un système d'information partagé en interconnectant les bases de données des différents acteurs de l’agro-écologie; inciter les acteurs de la recherche et de la recherche développement à produire de nouvelles connaissances sur l’agro-écologie; faire émerger et vivre des réseaux d'échanges au-delà des systèmes d'information structurés.
Le projet présenté par Marion Guillou propose « d’adapter l'appareil et les référentiels de la formation initiale et continue, et mobiliser tous les acteurs de la formation; d’aider les exploitants à gérer les transitions par la formation professionnelle, en mobilisant au besoin le levier du FEADER; de mobiliser l’enseignement supérieur agricole et vétérinaire en appui à ces changements. » Il s’agit « d’accompagner la transition des groupes d’agriculteurs par un conseil agricole renouvelé, structurer l'offre de conseil et assurer sa qualité par une certification à deux niveaux, celui du conseiller et celui de sa structure; mobiliser le GIS Relance Agronomique pour concevoir des référentiels de formation à destination des conseillers agricoles; créer une séparation nette entre les activités de conseil et de vente; dynamiser et orienter la demande en conseil agro-écologique par la création d'un chèque conseil attribué aux GIEE ( groupements d’intérêt économique et écologique). » Pour information le GIS Relance agronomique est un « lieu de concertation et d’orientation sur la stratégie, les méthodes et les actions conduites dans les champs de la recherche, l’expérimentation, le conseil et la formation agricole. Le GIS Relance agronomique interagit avec plusieurs dispositifs multipartenaires, en premier lieu les GIS "filières", mais aussi des GIS "thématiques", consacrés au sol, la génétique animale ou végétale. Par ailleurs, bon nombre d’unités et de réseaux mixtes technologiques mis en place à partir de 2006 par le ministère en charge de l’agriculture abordent des sujets directement liés au développement de systèmes de production innovants et durables. »
Ce projet souhaite la « mise en place des incitations pour lever les blocages au niveau individuel, collectif ou des filières, accompagner la prise de risque liée aux changements de pratiques et de systèmes (mesures agro-environnementales, expérimentation de fonds régionaux de mutualisation du risque); concevoir des dispositifs innovants pour inciter à la réduction de l'usage des intrants achetés en dehors de l’exploitation (étude et expérimentation de certificats d’économie d’intrants); utiliser les synergies avec les agences de bassin dans les zones de captage d’eau; améliorer la gestion quantitative de l'eau, étudier au cas par cas les projets de retenues collinaires, et envisager, le cas échéant, le relèvement du prix de l’eau d’irrigation ; orienter la génétique végétale et animale pour mettre à disposition des agriculteurs un choix de variétés végétales et de races animales adaptées à l’agro-écologie ; mobiliser la recherche technologique, la formation, le développement et les entreprises pour mettre au point des équipements adaptés à l’agro-écologie; encourager, à l’échelle des territoires, de nouvelles formes de «solidarités agricoles», notamment en matière de liens cultures-élevages et d’optimisation des surfaces d’intérêt écologique ; mobiliser les marges de manœuvre de la future PAC 2014-2020; lever certaines contraintes normatives qui freinent l'innovation ou les pratiques collectives ; autoriser un « droit à l’expérimentation » encadré pour explorer, dans le cadre des GIEE, des alternatives plus efficaces que les normes existantes; réfléchir la conduite technique et la gestion comptable des exploitations sur un pas de temps pluriannuel, et améliorer les dispositifs fiscaux qui permettraient de progresser dans ce sens; encourager et valider les innovations issues des expériences de terrain en mobilisant le Partenariat Européen pour l’Innovation (PEI) «Productivité et développement durable de l’agriculture»; mobiliser l’amont et l'aval de l’exploitation agricole pour accompagner l’innovation, notamment en permettant le recours au nouveau crédit d’impôt innovation; construire la double performance de l’agriculture autour de l’échelle régionale en lien avec les collectivités.
Les démarches collectives sont le levier de la double performance. Cela pourrait être le cas pour les «fonds de mutualisation» présentés, mais aussi pour des dispositifs prévus au titre du FEADER, en particulier les MAE, ou pour les dérogations au « droit commun » en matière de CIPAN ou de surfaces d’intérêt écologique par exemple. Le « label » GIEE, défini par l’Etat, peut faire l’objet d’une valorisation encadrée en matière de protection de la marque GIEE et des termes « groupement d’intérêt économique et environnemental », réservée aux membres des groupements reconnus par la puissance publique, les éventuels bénéfices d’image (partenariat locaux avec la distribution, par exemple).
Ce projet propose « ouvrir plus largement la gouvernance du secteur agricole et renouveler les indicateurs de mesure ». « Cela est d’autant plus justifié que les aides publiques qui sont octroyées ne seront pérennes que si elles sont attachées à la production de biens publics. La relance agro-écologique appelle donc à une ouverture accrue des instances régionales et nationales appelées à impulser et suivre cette transition massive vers des systèmes doublement performants. L'enjeu est de favoriser et d'organiser la discussion, le débat d'idées, les échanges, la coordination entre les différents acteurs concernés aux échelons nationaux comme régionaux. A ce titre, les différents lieux et instances de gouvernance ou de discussion autour de l'agro-écologie (qu'ils soient nationaux, régionaux ou infrarégionaux) devraient, tout en respectant la règle de la représentativité dans l'édition des décisions, prévoir, chaque fois que possible, la présence et la contribution au débat de porteurs d’enjeux non strictement agricoles (organisations non gouvernementales, associations de consommateurs, acteurs des filières, parcs naturels, etc.).De plus, il nous semble important d'associer pleinement l'ensemble des acteurs engagés dans l'appropriation du projet agro-écologique, notamment dans la question toujours centrale de la définition des indicateurs (d'objectifs, de résultats, d'impacts, etc.). En particulier la construction du « tableau de bord » des démarches agro-écologiques doit être pensée en amont comme une démarche de co-construction de références partagées par les acteurs concernés (au sein du GIEE, par exemple), et non pas seulement comme un ensemble d’indicateurs préétablis par des experts. »
Le projet pense déjà à la PAC pour l’après 2020. Ainsi « des marges de manœuvre existent pour orienter la PAC 2014-2020 au service du projet agro-écologique, mais elles restent limitées par un contexte où la PAC est encore trop tributaire des orientations passées. Certaines de ces orientations montrent aujourd'hui leurs limites (inadaptation à la forte volatilité des prix, aux nouveaux enjeux de compétitivité, d'innovation et de durabilité, notamment en matière d’atténuation des émissions de GES, etc.). Le projet agro-écologique étant un projet structurel de long terme, il importe de penser dès aujourd'hui à une PAC plus efficace pour accompagner la double performance en contexte de changement climatique. Sur le plan environnemental, cela passe par une révision des règles de cofinancement afin de tenir compte, sur ce point, de l'échelle géographique de l'enjeu (très différent selon qu'il s'agit de pollutions diffuses ou de lutte contre le réchauffement climatique). La PAC doit également intégrer de manière plus systématique la réalité et l’ensemble des coûts et bénéfices, privés et publics, des pratiques. »