Afin de bien comprendre les difficultés qui entourent le passage de la qualification de navire à celle de déchets, il faut d’abord s’intéresser à la définition que le droit positif donne du déchet.

La directive Cadre Déchet 2008/98/CE du 12 décembre 2009 définit le déchet comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». L’article L 541-1 du Code de l’environnement précise également qu’un déchet équivaut à « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’obligation ou l’intention de se défaire ». Auparavant, le terme de déchet était régulièrement attachée à la notion d’abandon, elle signifie, en droit français, la volonté pour le propriétaire de perdre son droit de propriété sur la chose. L’article L 541-3 alinéa 4 du Code de l’environnement précise en ce sens que constitue un abandon « tout acte tendant sous le couvert d’une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire à son auteur aux prescriptions de la présente loi et des règlements pris en son application ». La question de l’interprétation de l’abandon s’est cependant posée, fallait il considérer l’abandon de manière objective ou subjective ? La Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE ) a d’abord adopté une conception subjective de l’abandon. Elle a indiqué, dans un arrêt de 2002, que la qualification de déchet résultait du comportement du propriétaire et de sa volonté de se débarrasser ou non de la chose. Mais cette conception entrainait quelques incohérences puisqu’elle excluait la possibilité de retenir la responsabilité du propriétaire relative aux déchets en cas de déversement accidentel de substances dans l’océan sous prétexte que le propriétaire n’avait pas eu l’intention d’abandonner. Cette conception ne pouvait donc être maintenue. Dans l’arrêt Van de Walle du 7 septembre 2004, la CJCE retient la conception objective de l’abandon et permet, en ce sens, la qualification de déchets pour des substances déversées accidentellement dans les sols. La CJCE a considéré que la notion d’abandon devait s’entendre comme le faible degré de probabilité de réutilisation de la substance sans opération de transformation préalable. L’intention du détenteur de se défaire de la chose s’analyse désormais en fonction des caractéristiques de celle-ci : lorsque la chose n’a pas à être transformée, elle reste un produit, à l’inverse, si elle nécessite une transformation pour être réutilisée, elle est un déchet. La CJCE a fondé son raisonnement sur la directive 75/442/CEE du 25 juillet 1975 qui a pour objectif premier la protection de la santé humaine et de l’environnement contre « les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets ».
La CJCE va confirmer sa décision dans l’arrêt Erika du 17 juin 2008 et dans l’arrêt Commune de Mesquer du 24 juin 2008. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 décembre 2008, a retenu la même conception objective de l’abandon que la CJCE.

La recherche de la qualification de déchet par la CJCE n’est pas anodine. En effet, la qualification juridique de déchet a pour principal objectif de faire peser sur le propriétaire du déchet des obligations particulières. La responsabilité de la gestion du déchet incombe au détenteur de celui-ci. Différentes responsabilités peuvent être engagées, comme par exemple les responsabilités pour faute, la responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde ou encore la responsabilité du fait d’autrui. Cela laisse au juge une marge d’appréciation importante et la possibilité d’effectuer un partage des responsabilités.
Cependant, la qualification de déchet d’un navire présente quelques difficultés

La difficulté réside en ce que, d’un point de vue théorique, le navire démantelé est un déchet puisque son propriétaire a l’intention de s’en défaire. Cependant, lorsque le navire est transporté à l’étranger pour sa déconstruction, il navigue, il fait donc ce pourquoi il a été construit, comme tout moyen de transport, il va d’un endroit à un autre.

Le débat a été lancé lors de l’affaire de l’ex-Clemenceau. La question a été de savoir si la coque Q790 devait être considérée comme un matériel de guerre ou comme un déchet avec les conséquences juridiques qui s’y attachent.

L’Etat a choisi de qualifier la coque de matériel de guerre en se fondant notamment sur l’article L 2331-1 du Code de la Défense pour déterminer que l’ex Clemenceau disposait encore de ses caractéristiques techniques lui permettant d’être utilisé comme matériel de guerre. Or, l’article en question précise que « les matériels de guerre, armes et munitions et éléments désignés par les dispositions du présent chapitre et relatives au régime des matériels de guerre, armes et munitions sont classés dans les catégories ci-après : (…) 2e catégorie : matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu ». Le décret 95-589 du 6 mai 1995, dans son article second, est venu préciser que « les navires de guerre de toutes espèces comprenant les porteurs d’aéronefs et les sous-marins, ainsi que leur blindages, tourelles, casemates, affûts, rampes et tubes de lancement, catapultes et les éléments suivants de ces navires : chaufferie nucléaire, accumulateurs d’électricité pour sous-marins, systèmes de propulsion anaérobies ».

A l’inverse, les associations de défense de l’environnement ont invoqué l’article 2 de la Convention de Bâle afin d’apporter la preuve que la coque Q790 devait être considérée comme un déchet. Cet article dispose qu’est un déchet « toute substance ou objet que l’on élimine, que l’on a l’intention d’éliminer ou que l’on est tenu d’éliminer en vertu des dispositions du droit national ». Un considérant de la décision VII/26 précise « qu’un navire peut devenir un déchet, conformément à l’article 2 de la convention de Bâle, tout en restant un navire en vertu d’autres règlements internationaux ».

Le Conseil d’Etat trancha en faveur du déchet, considérant dans l’arrêt du 15 février 2006 que « le lancement d’un appel d’offre et la conclusion d’un contrat de cession aux fins de désamiantage et de démolition manifeste l’intention de l’Etat de se défaire de la coque de l’ex porte-avions Clemenceau ». Le Conseil d’Etat s’aligne sur la décision de la CJCE en reconnaissant qu’un déchet est qualifié dès lors que le détenteur de celui-ci a manifesté son intention de s’en défaire. Le Conseil d’Etat ajoute également que la qualification de déchet de la coque résulte bien du fait que le détenteur a clairement l’intention de se défaire de la coque et non pas du fait que les produits et éléments dangereux qu’elle pourrait contenir constituent un déchet. En conclusion, la coque n’est pas un déchet de par ses produits et matériaux devenus déchets mais parce que le propriétaire de la coque a manifestement démontré son intention de s’en défaire en la cédant pour la faire démanteler.
La cession d’un navire en vue de son démantèlement peut donc être qualifiée d’abandon, à noter qu’en retenant cette notion, le détenteur ne peut échapper à son obligation de gestion du déchet jusqu’à son élimination ou sa valorisation.

Cependant, bien que la coque puisse être considérée comme un déchet, elle ne peut pas être qualifiée de déchet dangereux au sens de la Convention de Bâle par le simple fait d’être un déchet. La Convention de Bâle énonce que « les déchets considérés comme dangereux sont : les déchets appartenant à une catégorie décrite à l’annexe I et présentant des qualités de dangerosité définies à l’annexe III ; les déchets qualifiés de dangereux par la législation du pays exportateur, importateur ou de transit ». Un navire contient bon nombre de matériaux et substances dangereux en son sein, malgré tout, il ne peut être considéré de par sa nature comme un déchet dangereux. Seuls les composants relevant de la liste établie par la Convention de Bâle peuvent faire du navire un déchet dangereux. Cette qualification va nécessairement influer sur le traitement des déchets et sur le transfert de ceux-ci au sein de l’Union européenne et hors du périmètre communautaire.