
Le droit du travail confronté aux nanotechnologies
Par Audrey COUYERE
Juriste en Droit de l'Environnement et Droit du Travail
EDF
Posté le: 19/07/2013 14:02
A des concentrations très élevées, les propriétés physiques des nanoparticules doivent inspirer la prudence. Sont principalement visés les lieux de forte concentration a priori comme les ateliers de production et de mise en œuvre. D’autant que leur petite taille et leur persistance rendent leur confinement difficile à assurer. En effet, cette petite taille favorise une dispersion rapide dans l’air. Ce qui augmente l’exposition des personnes. (Puig & Luzeaux, 2007 : 74)
Trois grandes catégories de populations exposées sont à distinguer. A l’heure actuelle, des centaines de travailleurs de par le monde sont directement exposés dans la production de nanoparticules. Leur nombre est appelé à croître rapidement. Est exposée la population professionnelle par la fabrication, la mise en œuvre et l’usage des nanoparticules. Une traçabilité au niveau de la filière de production peut être assurée. Au-delà de cette catégorie, il faut prendre en compte les travailleurs de manutention, maintenance, nettoyage et élimination des déchets. Lesquels œuvrent souvent au sein d’entreprises sous-traitantes. Les consommateurs sont également exposés, soit par utilisation explicite de produits intégrant des nanoparticules, soit du fait de l’élimination directe ou indirecte de ces dernières ou de celle des substances dont elles modifient les propriétés physiques. Enfin sont potentiellement exposés les habitants de zones exposées. On peut citer les zones proches de centres de retraitement de déchets. (Puig & Luzeaux, 2007 : 74)
La protection de la santé des travailleurs et l’amélioration de la sécurité du travail ont constitué, dans tous les pays industrialisés, la pierre angulaire du droit du travail. L’article 137 du Traité de Rome modifié par le Traité d’Amsterdam en témoigne. Cette première place se justifie par l’engagement physique que suppose l’exécution du contrat de travail. C’est le corps du travailleur qui est exposé. Le développement du travail industriel au cours du XIXeme siècle, lequel s’est un accompagné d’un accroissement du risque d’accidents du travail ou de maladies professionnelles causés par le travail ou les produits utilisés, constituent le socle de la protection moderne du travailleur. Certes la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles a finalement été « socialisée » par la loi du 9 avril 1898. Mais on connaît le déficit que ce concept accuse aujourd’hui. Ce qui joue invariablement sur sa pérennité. La meilleure politique ne consiste-t-elle pas, par des mesures préventives, à diminuer les risques et à humaniser les conditions de travail, à la fois dans l’intérêt de chaque travailleur et de la collectivité ? Notre droit du travail garantit-il la protection de la santé et de la sécurité des salariés dans le cadre de la production de nanomatériaux ? La réponse à cette question requiert l’examen des obligations de prévention et des précautions relatives à l’utilisation des nanotechnologies d’une part, et l’analyse du nouveau droit d’alerte en matière de santé et d’environnement.
I. L'obligation de prévention de résultat de la santé du travailleur
En France, quelques lois importantes ont été adoptées au cours des dernières décennies. La loi du 6 décembre 1976 a accru les pouvoirs des inspecteurs du travail, mais elle a aussi imposé aux employeurs l’obligation de former les salariés dans le domaine de la sécurité et a introduit la conception dite de « la sécurité intégrée » (les problèmes de sécurité doivent être traités dès le stade de la fabrication des machines ou des produits dangereux). Quatrième des « lois Auroux », celle du 23 décembre 1982 a institué un nouvel organisme dans l’entreprise, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Elle a également reconnu aux salariés la faculté (« droit nouveau ») de se retirer d’une situation de travail qui présente un danger grave et imminent pour leur vie ou pour leur santé. La loi du 31 décembre 1991 a entendu transposer dans le Code du travail l’importante directive 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. A la suite d’une décision de la Cour de justice des Communautés européennes (5 juin 2008) condamnant cette transposition, un décret renforçant l’information des salariés sur les risques pour leur santé et leur sécurité a été adopté assez récemment (D. 2008-1347 du 17 déc. 2008). Parmi les autres lois ou décrets adoptés, on peut relever, s’agissant des risques technologiques et naturels, la loi du 30 juillet 2003 qui vise la protection du personnel dans les entreprises à risques. Sa préparation avait été entreprise après la catastrophe de l’usine AZF de Toulouse (septembre 2001). L’abondance des lois et règlements n’a pas dispensé la Cour de cassation d’ajouter sa pierre à l’édifice. Le premier apport a été celui de la Chambre criminelle (Crim, 11 juin 1987), appelée à préciser les conditions de la responsabilité pénale (du chef d’entreprise ou d’établissement) en cas de manquement aux règles d’hygiène et sécurité ou d’accident du travail. Plus récemment, la « découverte », par les chambres civiles de la Cour, de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur a marqué un nouvel infléchissement de ce segment du droit social. Ce faisant, la Cour a facilité la charge de la preuve, incombant aux salariés victimes d’une maladie professionnelle provoquée par l’amiante, de la faute inexcusable de l’employeur, laquelle fonde une amélioration de la réparation en vertu des articles L. 452-1 s. du Code de la sécurité sociale (une indemnisation intégrale du préjudice au lieu et place de l’indemnisation forfaitaire de principe). Cette position a été maintenue, et l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur est maintenant bien ancrée dans les mentalités.
Concrètement qu’implique l’obligation de résultat ? Cette dernière impose à l’employeur d’identifier les risques professionnels. Mais cette obligation étant de résultat – et non de moyens, elle ne se limite pas uniquement aux risques et mesures de prévention professionnels identifiés par la loi. Pour parvenir à remplir son obligation de sécurité, l’employeur doit aller au-delà. L’obligation de sécurité de résultat est-elle compatible avec le risque nanotechnologique ? L’employeur ne peut faire l’économie de se tenir informé de l’évolution des méthodes scientifiques d’évaluation et de gestion des risques, sous peine de se voir reprocher sa faute inexcusable. La nouvelle définition de la faute inexcusable consécutive aux arrêts « amiante » et à l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2005. (Robaczewski, 2010 : 1)
A. Une obligation générale de prévention difficilement sanctionnable
Une obligation générale de prévention est mise à la charge de l’employeur par l’article L 4121-1 du Code du travail. Aux termes de cette disposition, toutes « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » doivent être prises par l’employeur. A défaut de pouvoir supprimer le risque, l’employeur doit a minima tenir compte de l’évolution de la technique pour remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l’est pas ou ce qui l’est moins (Code du travail, article L 4121-2). Cette obligation générale de prévention n’est toutefois pas sanctionné, à moins que sa violation n’ait crée une situation dangereuse. Encore faut-il que la dite situation soit constatée par l’inspection du travail , que la direction départementale du Travail ait mis en demeure l’employeur de prendre toute mesure utile pour y remédier, et que l’employeur n’ait pas pris les dites mesures. Ce n’est seulement qu’à cette triple condition que l’infraction sera sanctionnée d’une peine d’amende pour contravention de 5eme classe (C.trav., art. R 4741-1). En pratique cette condition est très difficile à satisfaire. (Robaczewski, 2010 : 2) (Pélissier, Auzero, Dockès, 2013 : 880-881)
L’obligation générale de prévention présente le particularisme de confier à l’inspecteur du travail le soin de relever le manquement et sa conséquence sur le caractère dangereux de la situation de travail. D’une part, ce particularisme suppose que l’inspecteur soit formé aux risques nanotechnologiques. Or, la variabilité de ces risques, en fonction des matériaux considérés, ainsi que l’insuffisance de l’expertise scientifique sur la toxicité des produits à l’échelle nanométrique n’est pas de nature à faciliter la formation des agents. De plus la démultiplication des formes nanométriques rend difficile la caractérisation des propriétés physico-chimiques de ces nouveaux matériaux par les scientifiques eux – mêmes. Quand bien même, un important effort de formation des inspecteurs et contrôleurs dans le domaine de santé du travail est réalisé au moyens de stages spécifiques amiante, risques chimiques, TMS, etc , aucune formation n’est à l’heure actuelle possible sur les nanotechnologies puisqu’aucune méthodes d’évaluation des risques n’existe. D’autre part, cette condition du constat de l’inspecteur requiert la mise en œuvre d’une procédure contraignante de contrôle et de suivi. Laquelle est peu utilisée en pratique. Le corps des inspecteurs et contrôleurs du travail est réduit, et les contrôles sont relativement espacés. Le contrôle réglementaire n’est donc pas systématique. Cette impossibilité de mettre en œuvre la condition du contrôle du respect de l’obligation générale de prévention dans le domaine des nanotechnologies, aboutit à une absence de sanction de l’obligation générale de prévention. (Robaczewski, 2010 : 2)
En conclusion, on peut raisonnablement penser que l’obligation générale de prévention n’est pas de nature à assurer la protection des salariés. Puisqu’en définitive, elle ne permet pas d’engager la responsabilité de l’employeur suite à l’exposition effective à un risque nanotechnologique. Le caractère inadapté de l’obligation générale de prévention au risque nanotechnologique est prégnant. Il faut donc, pour assurer la protection des salariés, se tourner vers des obligations de prévention particulière, et évaluer si ces dernières sont de nature à assurer la dite protection. (Robaczewski, 2010 : 2)
B. Des obligations particulières de prévention plus ou moins adaptées
Parmis les obligations particulières de prévention existantes dans le code du travail, celles potentiellement applicables aux nanotechnologies sont celles qui concernent les risques liés aux agents chimiques dangereux. La partie règlementaire du code y fait référence aux articles R 4412-1. Les dispositions relatives aux agents chimiques cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction sont également applicables – article R 4412-59. Les obligations qui résultent de ces textes sont assorties, en cas de non respect, d’une sanction de nature délictuelle - article L 4741-1 du Code. Laquelle correspond aux sanctions de droit commun des violations des règles d’hygiène et de sécurité.
Le contenu de cette obligation consiste à imposer à l’employeur de prendre en compte la dangerosité des produits pour s’assurer que les niveaux d’expositions des travailleurs aux risques sont les plus bas possibles et que les mesures de prévention mises en place sont adaptées. Selon Robaczewski, « l’employeur est ainsi tenu d’effectuer régulièrement des mesures de la concentration des agents chimiques dans l’air de la zone de respiration des salariés, en tenant compte de l’existence de valeurs limites d’exposition professionnelle ». De plus, la loi « Grenelle I » impose que l’employeur encadre strictement l’emploi des substances classées comme extrêmement préoccupantes pour la santé. Pour y parvenir, la mise en place d’un portail internet de diffusion des données environnementales est prévue . Ce site doit permettre l’information des employeurs et des salariés exposés à des substances dangereuses par des fiches de données de sécurité et un suivi de l’exposition aux substances préoccupantes en milieu professionnelle. Le projet de loi relatif à la mise en œuvre de Grenelle I prévoit, en son article 34, la mise en place d’un « carnet de santé des salariés ». Ce dispositif est d’autant plus pertinent qu’il permettra la conduite d’études épidémiologiques au plan national, indispensable à la définition de politique de prévention efficace. Le dispositif devait être généralisé avant le 1er janvier 2013.
L’interprétation des obligations particulières reposent sur l’interprétation que le juge fait de la notion de la notion d’ « agent chimique dangereux » . En effet, aux termes de l’article R4412-3 – dans sa version modifiée par Décret n°2012-530 du 19 avril 2012 - art. 2, « pour l'application du présent chapitre, un agent chimique dangereux est : Tout agent chimique qui satisfait aux critères de classement définis à l'article R. 4411-6 ou par le règlement (CE) n° 1272/2008 ; [ou encore] tout agent chimique qui, bien que ne satisfaisant pas aux critères de classement, en l'état ou au sein d'un mélange, peut présenter un risque pour la santé et la sécurité des travailleurs en raison de ses propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques et des modalités de sa présence sur le lieu de travail ou de son utilisation, y compris tout agent chimique pour lequel des décrets prévoient une valeur limite d'exposition professionnelle. » En définitive, le législateur, au deuxième alinéa, invite le juge à faire usage de son pouvoir d’appréciation, au cas par cas - s’agissant des propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques, ou encore s’agissant des modalités d’exposition ou d’utilisation par le travailleur dès lors que le produit concerne ne satisfait pas aux critères de classement de l’article R 4411-6 du Code du Travail. Or, selon Robaczewski, la lettre du texte est appréciée largement lorsque la portée de ce dernier est incertaine. Pouvoir d’appréciation étendue dont la finalité peut être contradictoire avec le principe de la légalité criminelle . Ainsi se pose la question suivante : le juge peut –il réellement faire usage de son pouvoir d’appréciation dans le domaine des nanotechnologies sans compromettre le principe de la légalité criminelle ? Un compromis est-il réellement à la portée du juge ? Le principe de la légalité criminelle peut-il aboutir à l’inapplication de l’alinéa 2 de l’article R4412-13 du code du travail ? Le principe de la légalité criminelle peut –il, in fine, aboutir à l’absence de protection des salariés ? En effet, si l’on suppose que le principe de légalité criminelle puisse aboutir à l’absence d’application de l’article R 4412-13 al. 2, la responsabilité pénale ne sera pas engagée. Ce qui peut avoir pour conséquence d’influencer le juge civil sur le point de reconnaître ou non une responsabilité civile de l’employeur.
Certes, la loi n° 2010 – 788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement instaure une procédure de déclaration d’activité sur les substances produites à l’état de nanoparticule. Celle-ci s’impose aux fabricants, importateurs et responsables de la mise sur le marché. Nous avons vu plus haut que cette obligation d’enregistrement spécifique aux nanotechnologies ne fonctionne pas très bien. La prévention suppose de connaître les éléments constitutifs du risque. Or l’état des connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas de déterminer avec certitude, substance par substance, les données relatives au danger. L’enregistrement des substances dangereuses à l’état nano-particulaires ne fonctionne pas correctement car il repose sur un risque qui n’est pas encore précisément identifiée. Compte tenu de cette lacune, l’obligation d’enregistrement, actuellement, est d’une portée limitée pour protéger efficacement les travailleurs exposés aux nanomatériaux. Elle a cependant le mérite d’exister, de recenser les utilisations des substances à l’état nano particulaires, et constituera à l’avenir une base de donnée importante. Celle-ci évoluera au fur et à mesure de l’avancement des connaissances scientifiques. Les travaux du Grenelle de l’environnement soulignent le manque de visibilité sur les risques des nanotechnologies. La loi « Grenelle I » prévoit la mise en place d’une « méthodologie d’évaluation des risques et des bénéfices liés à ces substances et produits » afin d’ « améliorer l’information due aux salariés par les employeurs sur les risques et les mesures à prendre pour assurer leur protection ». La prévention en est donc à ses balbutiements. (Robaczewski, 2010 : 1) D’où l’utilité de promouvoir le mécanisme de l’alerte.
II. Le nouveau droit d'alerte en matière sanitaire et environnementale
Les crises sanitaires ou environnementales de ces dernières décennies ont amené le législateur à traiter de la protection du lancer d’alerte, personne physique ou morale . La loi du 16 avril 2013 relative à l’interdépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte vise notamment à protéger le salarié ou les représentants du personnel en CHSCT qui alertent l’employeur, lorsqu’ils estiment, de bonne foi, que les produits ou procédés utilisés ou mis en œuvre par l’entreprise font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement. Ce droit d’ « alerte verte » consacré par le Code du travail s’accompagne d’une protection particulière de son auteur, semblable à celle dont un salarié peut bénéficier en cas de discrimination. Il convient d’aborder le volet de la loi concernant directement l’entreprise. Certaines dispositions de ce texte restent à préciser par décret.
Un nouveau droit d’alerte en matière sanitaire et environnementale est mis en place. La loi élargit le droit d’alerte déjà reconnu au salarié et au CHSCT à l’article L 4131-1 et 2 du code du travail, en cas de danger grave et imminent pour la santé ou la sécurité, à l’alerte en matière environnementale et de santé publique – nouveaux articles L. 4133-1 à L. 4133-5 du code du travail. La loi du 16 avril 2013, institue d’une part, une procédure spécifique de l’exercice du droit d’alerte dans l’entreprise (L. n°2013-316, art.8, article L. 4133-1 à L. 4133-5 crée) et d’autre part, en prévoyant un droit à la protection des lanceurs d’alerte en matière environnementale (L. n° 2013-316, art. 11 ; C. santé publ., art. L. 1351-1 crée).
A. Modalités de mise en oeuvre du droit d'alerte
Qui est le donneur d’alerte ? Selon Laude, d’après les travaux parlementaires, un lanceur d’alerte « n’est pas une personne définie qui serait investie d’une mission d’un laboratoire ou d’une entreprise, mais un chercheur ou un salarié qui se trouve confronté, au hasard de sa vie professionnelle, à un risque scientifique qu’il identifie comme sérieux et qu’il lui apparaît nécessaire de révéler » . Les détenteurs du droit d’alerte sont donc le salarié comme le représentant du personnel du CHSCT . En effet « Tout salarié qui estime de bonne foi que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement en alerte immédiatement l’employeur. ».
Quant aux conditions de mise en œuvre du droit d’alerte, le code du travail pose deux conditions pour que le salarié puisse saisir l’employeur d’un risque sanitaire ou environnemental. Il faut un risque grave. Selon le législateur, il faut entendre par la notion de « risque grave », « un danger éventuel plus ou moins prévisible ». Et il faut que le salarié soit de bonne foi. Cette notion laisse une place à l’appréciation subjective de ce dernier. N’étant pas nécessairement expert, il peut se tromper. Peu importe, « les alertes ne se fondent pas toujours sur une expertise scientifique, mais parfois sur un ressenti ou une expérience concrète ». L’important c’est que le salarié agisse de bonne foi, celle-ci pouvant se définir « comme la croyance qu’à une personne de se trouver dans une situation conforme au droit, et d’agir sans léser les droits d’autrui » .
Encore faut-il distinguer le droit d’alerte du droit de retrait. La loi jusqu’à présent faisait une association entre droit d’alerte et le droit de retrait. Dans le cas présent, elle est muette sur la possibilité offerte au salarié d’exercer en cas d’alerte verte son droit de retrait. Pour mémoire, le droit de retrait du poste de travail est possible lorsque le risque est cumulativement « grave » et « imminent ». Or ce nouveau droit d’alerte s’exerce en cas de risque grave, mais n’exige pas que le risque soit imminent. Le législateur n’a donc pas entendu lier ce droit « d’alerte verte » à l’exercice du droit de retrait. Toutefois, dès lors que le salarié aurait un motif raisonnable de penser que le danger va se concrétiser de façon imminente, il sera fondé, à notre sens, à se retirer de la situation dangereuse au titre de ses prérogatives générales.
La dimension collective du droit d’alerte est renouvelée. Le droit d’alerte prend aussi une dimension collective puisqu’il peut être exercé par le CHSCT. Un représentant du personnel en CHSCT dès lors qu’il constate, par lui-même ou par l’intermédiaire d’un salarié, un risque grave pour la santé publique ou l’environnement peut également déclencher l’alerte. Contrairement à l’habituelle alerte du CHSCT, en cas de danger grave et imminent, il n’est prévu à la charge de l’employeur, dans ce cas, ni enquête sur les lieux avec le membre du CHSCT, ni de réunion du CHSCT dans les 24 heures en cas de divergence d’appréciation, ni d’arbitrage, le cas échéant, de l’inspecteur du travail.
Quant aux modalités d’exercice, l’alerte soit déclenchée par le salarié ou par le CHSCT, elle doit être consignée par écrit. Un décret précisera les modalités. S’agissant des suites, la loi fait peser sur l’employeur de nouvelles obligations (L. n° 2013-316, art.8 ; C.trav., art. L.4133-1 à L. 4133-5 crées). L’employeur a une obligation d’information à l’égard de la personne qui l’interpelle sur la suite qu’il réserve à l’alerte formulée. En cas de divergence sur le bien fondé de l’alerte transmise ou en l’absence de réaction de l’employeur dans un délai d’un mois, le salarié comme le représentant du personnel du CHSCT peuvent saisir le préfet. Il s’agit d’une garantie pour le lanceur d’alerte que l’exercice de son droit sera effectif. Si le préfet ne réagit pas, la Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement pourra être saisie par une organisation syndicale et interroger le ministère concerné. Par ailleurs l’employeur qui se soustrait à son obligation d’examen de la question avec le membre du CHSCT ou d’information sur les suites données perd le bénéfice de l’exonération de responsabilité pour produits défectueux . Il importe donc que l’employeur examine très rapidement les suites à donner et prenne les mesures nécessaires révélées par l’enquête. A défaut de prendre en compte l’alerte, il pourrait voir sa responsabilité engagée en raison de l’utilisation d’un produit défectueux et se voir condamner à payer des dommages et intérêts en raison du préjudice subi.
Les obligations de l’employeur sont renforcées. En complément des obligations qui pèsent sur l’employeur en matière de santé et de sécurité – en particulier L 4141-1 et L 4614-10 du code du travail, la loi prévoit un nouveau devoir d’information des salariés et un nouveau cas de réunion du CHSCT. En effet, au plan collectif, l’employeur a également l’obligation de réunir le CHSCT « en cas d’évènement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement » (L. n° 2013-316, art. 10 ; C. trav., art. L. 4614-10, al.2, crée).
De plus, une information sur les risques environnementaux et sanitaires doit être donnée. L’information générale que doit organiser et dispenser l’employeur sur les risques pour la santé et la sécurité est complétée d’une information spécifique des salariés sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique et l’environnement les produits ou procédés de fabrication utilisés par l’établissement ainsi que les mesures prises pour y remédier – article L 4121-1 Code du travail.
Un nouveau cas de réunion du CHSCT est ajouté. En plus du cas de réunion déjà prévu par le Code du travail à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves, ou la demande motivée de deux de ses membres, le CHSCT est aussi désormais réuni « en cas d’évènement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement » - conféré l’article L 4614-10 du Code de l’environnement. En outre, un nouveau cas d’information du CHSCT est prévu. Le CHSCT est informé des différentes alertes transmises à l’employeur, de la suite qui leur a été réservée ainsi que de la saisine du préfet, le cas échéant.
B. Une protection particulière du lanceur d'alerte
La loi consacre la protection des lanceurs d’alerte aussi bien dans le cadre du lancement d’alertes internes que dans celui d’alertes externes à l’entreprise. Ainsi, l’article L. 1351-1 du Code de la santé publique (L. n°2013-316, art. 11), auquel renvoie le Code du travail (C. trav., art. L 4133-5) introduit un droit général à la protection du lanceur d’alerte en matière sanitaire et environnementale. La place de ce texte revêt une importance particulière. En effet, en intégrant les dispositions relatives à la protection des lanceurs d’alerte dans le livre III de la première partie du Code de la santé publique, le législateur a clairement souligné sa volonté de conférer une portée générale à cette protection dans le domaine de la santé et de l’environnement. La protection des lanceurs d’alerte se situe à deux niveaux.
D’une part, elle constitue une application du principe de non- discrimination à l’hypothèse de l’alerte sanitaire et environnementale. Concrètement, le lanceur d’alerte ne peut être écarté d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle . Il ne peut davantage être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de traitement, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l’environnement » dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. Toute mesure ou tout acte qui contreviendrait à ces principes est nul de plein droit. Selon Laude, toutefois, ce droit d’alerte vient contredire le devoir de loyauté du salarié envers l’employeur qui lui impose, a fortiori dans un secteur fortement concurrentiel comme les entreprises du domaine de la santé ou de l’environnement, de ne pas révéler des informations à caractère confidentiel. Toutes clauses de non concurrence, ou charte de confidentialité, sont nulles de plein droit au terme de la loi nouvelle (L. n° 2013-316, art. 11 ; C. santé publ., art. L. 1351-1 crée). Toutefois, la protection du droit à la liberté d’expression du salarié, voire plus généralement la protection des lanceurs d’alerte en matière environnementale ou sanitaire cesse, en cas de mauvaise foi.
D’autre part, l’article L. 1351- 1 nouveau du Code de la santé publique modifie la charge de la preuve et la fait peser sur la personne accusée d’avoir pris une mesure discriminatoire, et non sur le lanceur d’alerte. En cas de litige, le salarié doit établir les faits permettant de présumer de sa bonne foi. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié, comme en matière de discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime nécessaire.
La protection légale n’est accordée qu’aux lanceurs d’alerte qui respectent le circuit de l’alerte et avertissent les autorités visées par les textes, à savoir l’employeur, les autorités administratives ou judiciaires, et ceci afin de limiter les abus. De plus, la bonne foi est nécessaire. Le salarié qui lance une alerte de mauvaise foi ou avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits rendus publics ou diffusés encourt les peines sanctionnant la dénonciation calomnieuse – article L 226-10 du Code pénal : 5 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Pour conclure, la protection des lanceurs d’alerte encadre ainsi l’application de deux articles de la Charte de l’environnement adossée à la Constitution française. En vertu de l’article 2 de ce texte, « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement », ce qui constitue généralement l’objectif même du lanceur d’alerte. L’article 3 de la même charte prévoit que « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences », ce à quoi peut participer un lanceur d’alerte salarié d’une entreprise présentant des risques. Laude fait remarquer que cette nouveauté soulève une autre question celle de la part de l’avis individuel comparée à celle de l’avis des experts sur les questions scientifiques dans le débat environnemental et sanitaire.
Sources :
document d'origine interne sur le droit d'alerte
complété par:
Code du travail
Code pénal
Code de la santé publique
Anne Laude, 2013, Science et démocratie : garantir un juste équilibre – A propos de la loi du 16 avril 2013, La Semaine Juridique Edition Générale n° 24, 10 juin 2013, doctr. 690.
Pélissier, Auzero, Dockès, 2013, Droit du Travail, Précis Dalloz
Puig, Luzeaux et Gagnepain, 2007, A la conquête du nanomonde : nanotechnologies et microsystèmes
Robascewski, 2010, Le Droit pénal du travail face aux nanotechnologies, Droit pénal n° 12, étude n° 30, Lexis Nexis