Un premier dispositif permet à la société mère de prendre en charge la dette de dépollution de sa filiale de manière volontaire (I). Un second conditionne l’engagement de sa responsabilité à l’égard de sa filiale, sans capacité financière de réparer le dommage environnemental qu’elle a causé (II).



I. La prise en charge volontaire de la dette de dépollution de sa filiale par la société mère

Sous l’impulsion de la jurisprudence (A), le législateur a permis à la société mère de prendre en charge la dette de dépollution de sa filiale sur la base du volontariat (B).


A. L’impulsion donnée par la jurisprudence

Un cas en particulier a directement inspiré les mécanismes de la loi Grenelle II en matière de responsabilité des sociétés mères en cas de dommage environnemental.

Il s’agit de l’affaire Metaleurop Nord du 19 avril 2005 (Cass. com., 19 avril 2005, n° 05-10094). En l’espèce, une filiale avait été soumise à la réparation de dommages environnementaux qu’elle avait causés. Or, étant en procédure de liquidation judiciaire, elle ne pouvait pas payer seule sa dette de dépollution. Sa société mère l’a donc aidé financièrement. Mais, la cour d’appel a établi une confusion de patrimoine entre la filiale en liquidation judiciaire et sa société mère, contraire au principe de l’autonomie des personnes morales, et a ainsi été censurée par la Cour de cassation.

Cette affaire a fait polémique puisque le dommage environnemental n’a pas été réparé alors que le groupe de sociétés auquel la filiale appartenait était solvable. Dans un tel cas, il paraît en effet absurde que la dette de dépollution ne puisse pas être mise à la charge de la société mère.

La Cour de cassation n’a pas confirmé la décision d’appel mais a opéré un revirement de jurisprudence, déclarant « qu’en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser en quoi, dans un groupe de sociétés, les conventions de gestion de trésorerie et de change, les échanges de personnel et les avances de fonds par la société mère, qu’elle a constatés, révélaient des relations financières anormales constitutives d’une confusions de patrimoine de la société mère avec celui de sa filiale, la cour d’appel qui ne statuait pas sur le fondement de l’article L. 624-3 du Code de commerce, n’a pas donné de base légale à sa décision ». Ainsi, le juge semble vouloir reconnaître la possibilité pour la société mère de prendre à sa charge la dette de dépollution de sa filiale.

Sur ce point, la jurisprudence a ouvert la voie au législateur, qui est intervenu dans le cadre des dispositions instaurées dans la loi Grenelle II en 2010.


B. La réaction du législateur : le premier mécanisme instauré par la loi Grenelle II

Le premier mécanisme concerne l’engagement volontaire de la société mère venant en aide financière de sa filiale lorsque la responsabilité de cette dernière est mise en cause en cas de dommage environnemental. L’article 227 de la loi Grenelle II insère un article L. 233-5-1 au Code de commerce et dispose que : « La décision par laquelle une société qui possède plus de la moitié du capital d'une autre société au sens de l'article L. 233-1, qui détient une participation au sens de l'article L. 233-2 ou qui exerce le contrôle sur une société au sens de l'article L. 233-3 s'engage à prendre à sa charge, en cas de défaillance de la société qui lui est liée, tout ou partie des obligations de prévention et de réparation qui incombent à cette dernière en application des articles L. 162-1 à L. 162-9 du code de l'environnement est soumise, selon la forme de la société, à la procédure mentionnée aux articles L. 223-19, L. 225-38, L. 225-86, L. 226-10 ou L. 227-10 du présent code ».

Cette disposition n’est pas une obligation pour les sociétés-mères, mais elle constitue un régime protecteur pour celle qui décide de venir en aide à sa filiale dans le paiement de sa dette de dépollution. En effet, si elle décide de prendre à sa charge la dette de dépollution de sa filiale, elle sera alors soumise au régime des conventions règlementées. Les derniers textes mentionnés désignent d’ailleurs le régime des conventions règlementées dans l’ordre cité des SARL, des SA, des sociétés en commandites par actions et des SAS, auquel sera soumise la société mère. Le champ d’application de cet article est large car la possibilité est ouverte quelque soit la forme sociétale. En revanche, les engagements pris par la société mère sont limités à la prise en charge des obligations nées des articles L. 162-1 à L. 162-9 du code de l’environnement.

En aucun cas le principe de l’autonomie des personnes morales n’est remis en cause ici, mais, grâce à cette disposition, la société mère ne court plus le risque d’être accusée de commettre un abus de biens sociaux. On lui offre la possibilité d’adopter un comportement vertueux. Cette prise en charge par la société mère des mesures de prévention et/ou de réparation des dommages à l’environnement causés par sa filiale, peut être réduite et ne porter que sur une partie de ses obligations. C’est à l’occasion de la prise de contact entre le préfet et l’exploitant en cause que cette décision volontaire de la société mère pourrait intervenir.

Il n’est pas sûr qu’en pratique un réel changement ait lieu dans le comportement des sociétés suite à cette disposition, toutefois il était important de faire en sorte que la loi ne vienne pas décourager de telles initiatives, lorsqu’exceptionnellement elles se manifesteront.


Ce mécanisme, fondé sur le volontariat de la société mère, n’est pas le seul mis en place par la loi Grenelle II (B).



II. La prise en charge conditionnée de la dette de dépollution de sa filiale par la société mère

La loi Grenelle II instaure un second mécanisme conditionnant la responsabilité de la société mère en faveur de sa filiale en cas de dommage environnemental (A), et l’élargissant (B).


A. Les conditions de l’engagement de la responsabilité de la société mère

La loi Grenelle II ajoute un article L. 512-17 au Code de l’environnement qui dispose que : « Lorsque l'exploitant est une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce et qu'une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le ministère public ou le représentant de l'Etat dans le département peut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l'existence d'une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d'actif de la filiale et pour lui demander, lorsqu'une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures de remise en état du ou des sites en fin d'activité ».

Cette disposition envisage la prise en charge par la société mère de la responsabilité de sa filiale en cas de dommage environnemental causé par celle-ci. Cette prise en charge n’est plus faite sur la base du volontariat car ce sont le liquidateur, le ministère public ou le représentant de l’Etat qui peuvent la demander. Toutefois, pour ce faire, en pratique, trois conditions doivent être réunies :
- la société contrôlée devra être en liquidation judiciaire ;
- une insuffisance d’actif devra être constatée, ce qui empêchera la filiale de pouvoir elle-même faire face à ses obligations de remise en état du site pollué en fin d’activité ;
- une faute caractérisée de la société mère ayant contribué à cette insuffisance d’actif devra pouvoir lui être imputée.
En pratique, la responsabilité de la société mère est donc difficile à engager car il faudrait satisfaire ces conditions cumulatives.

D’après Gilles J. Martin, l’appréhension du législateur se manifeste par le fait que le périmètre de ce dispositif se restreint à la définition de la filiale donnée par l’article L. 233-1 du Code de commerce. Dès lors, il suffira à la société mère de ne détenir pas plus de 50% de sa filiale, en organisant la structure des 50% du capital restant afin de ne pas en perdre le contrôle, pour ne pas être inquiétée par l’article. De même, il évoque la tempérance du législateur qui s’est freiné à l’adoption du terme de « faute intentionnelle », préférant celle de faute « caractérisée », par crainte des délocalisations en masse d’entreprises en cas de responsabilité de plein droit des sociétés-mères. En tout état de cause, il ne s’agit pas d’une faute de gestion imputable aux dirigeants, mais une faute de la société mère donc imputable à l’actionnaire, précise-t-il.

Ce terme de « faute caractérisée » résulte de la jurisprudence Metaleurop Nord, mais elle a fait débat en raison de son ambiguïté. En effet, l’incertitude relative à cette notion laisse davantage de place à une possibilité d’exonération de la responsabilité de la société mère.


B. L’élargissement du champ d’application de la responsabilité en faveur de la filiale

L’article L. 512-17 au Code de l’environnement poursuit : « Lorsque la société condamnée dans les conditions prévues au premier alinéa n'est pas en mesure de financer les mesures de remise en état en fin d'activité incombant à sa filiale, l'action mentionnée au premier alinéa peut être engagée à l'encontre de la société dont elle est la filiale au sens du même article L. 233-1 si l'existence d'une faute caractérisée commise par la société mère ayant contribué à une insuffisance d'actif de la filiale est établie.

Ces dispositions s'appliquent également à la société dont la société condamnée en application du présent alinéa est la filiale au sens du même article L. 233-1 dès lors que cette dernière société n'est pas en mesure de financer les mesures de remise en état du ou des sites en fin d'activité incombant à sa filiale ».

Le dispositif mis en place permet de rechercher la responsabilité des sociétés-mères, « grands-mères » ou « arrières grands-mères », et d’étendre ainsi toujours plus la possibilité de prise en charge des dettes de dépollution d’une filiale. On fait remonter la responsabilité selon une échelle pyramidale à la recherche d’une société mère solvable afin de pallier l’insuffisance d’actifs pour réparer le dommage environnemental. En théorie, cette disposition paraît ambitieuse, attendons de voir la pratique.


Finalement, avec la loi Grenelle II, le législateur a voulu accroître le champ d’application de la responsabilité environnementale des sociétés. Mais, en même temps, il en a circonscrit l’application sous pression des lobbies et par crainte de faire fuir les sociétés.
D’où un régime de responsabilité environnementale basé, tant sur le volontariat des sociétés, que sur des obligations soumises à conditions.