La déconstruction du porte-avions le Clemenceau a été l’élément déclencheur de cette volonté d’intégrer le démantèlement comme méthode de traitement d’un navire en fin de vie. Le Clemenceau est le premier navire d’Etat à avoir été démantelé. Les propriétaires de navire ont, grâce à lui, progressivement pris conscience de l’intérêt environnemental et économique du démantèlement.

Le Clemenceau est le sixième porte-avions entré au service de la Marine Nationale. Il est resté en service du 22 novembre 1961 au 1er octobre 1997. Après trente six années de bons et loyaux services, la question de son devenir se pose. L’idée d’un démantèlement voit alors le jour mais celui-ci va entrainer certaines complications. Suite à la cessation de son activité, le Clemenceau est amarré dans la rade de Toulon pendant cinq ans, pendant lesquels il servira de pièces de rechange pour le porte-avions Foch, son navire jumeau. Le 16 décembre 2002, le ministre de la Défense débaptise le Clemenceau, il est désormais désigné comme la coque Q790. La coque est alors remise à la Direction Nationale des Interventions Domaniales (DNID) en vue d’être vendue, par voie d’appel d’offres, puis déconstruite. Un premier contrat de désamiantage et de démantèlement est passé entre la société espagnole Gijonesa de Desguaces, le 12 juin 2003. La coque Q790, au lieu de se diriger vers l’Espagne pour être désamianté comme prévu au contrat, est conduite en Turquie. La coque retourne donc à Toulon. Le 20 octobre 20033, un nouveau contrat est passé entre la DNID et la société Ship Decommissionning Industry (SDI), filiale du groupe allemand Eckhardt marine. Le contrat précise que le désamiantage sera organisé par la Grèce et le démantèlement se fera en Inde, cependant la Grèce refuse de prendre en charge le désamiantage. Le 25 juin 2004, la DNID décide finalement qu’un désamiantage partiel de la coque sera effectué à Toulon, celui-ci débutera le 22 novembre 2004, puis elle sera transportée en Inde pour sa déconstruction.

Les associations de protection de la santé humaine et de l’environnement, telles que l’association nationale de défense des victimes de l’amiante (ANDEVA), l’association Ban Asbestos, Greenpeace ou encore le comité anti-amiante de Jussieu, ont déposé un recours en référé auprès du juge administratif afin de faire annuler la décision de démantèlement en Inde, le 26 décembre 2005. Après de nombreuses procédures administratives et des manifestations des associations, le 30 décembre de la même année, le tribunal administratif de Paris rejette les demandes des associations. Il refuse de suspendre l’autorisation d’exportation de matériel de guerre délivrée le 29 novembre 2005 et la décision de transférer la coque Q790 en Inde pour son désamiantage. Le 31 décembre, le porte-avions le Clemenceau quitte Toulon en direction du chantier Shree Ram Vessel, en Inde. Le 6 janvier 2006, le comité spécifique aux activités de démantèlement des navires, le Supreme Court Monitoring Committee (SCMC) est chargé de rédigé un rapport sur la venue de la coque Q790 mais celui-ci estime qu’autoriser son démantèlement en Inde violerait les dispositions de la Convention de Bâle, convention relative au transport de déchets dangereux. Le 12 janvier 2006, l’Egypte refuse l’accès de l’ex-Clemenceau au Canal de Suez afin d’obtenir des précisions notamment sur la dangerosité des matériaux le constituant. Finalement, le 16 janvier, avec l’accord de l’Egypte, le Clemenceau passe le Canal de Suez. Le même jour, la Cour Suprême indienne interdit l’accès de la coque Q790 aux eaux territoriales d’Inde jusqu’au 15 février, date à laquelle elle décide d’interdire le démantèlement du Clemenceau sur son territoire. Dans le même temps, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 15 février 2006 ordonna le retour de l’ex-Clemenceau au port de Brest. La question de la qualification de la coque Q790 en déchet s’est alors posée, s’agit il d’un navire ou d’un déchet ? Au regard du règlement du Conseil des communautés européennes du 1er février 1993 concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l’entrée et à la sortie de la communauté européenne ainsi que de la directive du 15 juillet 1975 relative aux déchets, constitue un déchet « tout objet ou substance dont son propriétaire veut se défaire, notamment en raison de son caractère dangereux ; qu’est interdite l’exportation des déchets destinés à être éliminés ou valorisés sauf à certains pays », dont l’Inde ne fait pas partie. Le Conseil d’Etat en conclut que la coque Q790 doit être considérée comme un déchet au sens de ces textes et ne peut donc pas faire l’objet d’une exportation en Inde en vue de son élimination. Il va même juger que la décision de transfert de l’ex-Clemenceau en Inde nécessite une décision en référé car celle-ci présente un risque d’atteinte grave et immédiat aux intérêts de la protection de l’environnement et de la santé publique.

Le 17 mai 2006, l’ex-Clemenceau est ramené dans la rade de Brest. Le 1er juillet 2008, le Ministère de la Défense annonce la prise en charge du démantèlement de la coque Q790 par la société anglaise Able Ship Recycling à Hartlepool après avis favorable de l’Environment Agency, la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement de Bretagne et de la Commission interministérielle d’exportation des matériels de guerre donnée le 16 décembre 2008. La livraison de l’ex-Clemenceau est cependant repoussée à 2009, afin de draguer la rivière Tees ainsi que de faire disparaitre de la coque des organismes indésirables. Cette opération suscitera une vive réaction de l’association Agir pour l’Environnement et pour le Développement Durable qui considère que le grattage de la coque a entrainé le dépôt de fragments de peinture dans la rade de Brest. Le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a débouté l’association de sa demande dans un décision du 2 février 2009. Le 3 février 2009, l’ex-Clemenceau quitte Brest pour rejoindre le chantier Able UK en Grande Bretagne. Son démantèlement a été suivi de près par le Ministère de la Défense qui s’est assuré que le cahier des charges était bien respecté et que la déconstruction ne présentait pas de risque pour la santé humaine et l’environnement. La démolition s’est achevée fin 2010.

Lors de ce démantèlement, beaucoup de questions se sont posées, comme par exemple s’il fallait considérer la coque du navire comme un déchet ? Si oui à quel moment ? Toutes ces questions seront traitées progressivement.