I. La difficile adoption du Protocole de Nagoya

L’adoption d’un instrument contraignant de protection de la biodiversité s’est fait de manière progressive (A) et au terme de débats controversés entre pays du « Nord » et pays du « Sud » (B).

A. Une adoption progressive

La nécessité de donner une consistance juridique aux principes définis à Rio a été discutée en octobre 2001 lors d’une réunion intergouvernementale. Au cours de cette réunion, les débats ont porté autour de la nécessité d'adopter des « lignes directrices » destiné à aider les États et les entreprises utilisatrices sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation et de l'accès et partage des avantages associés aux ressources génétiques. Ces normes non contraignantes constituent un guide détaillé à l’usage des Etats et des acteurs privés lors de l’élaboration des mesures législatives d’APA nationaux ou de la négociation des contrats portant sur l’accès et l’exploitation de ces ressources. Ce projet de « lignes directrices » fut adopté lors de la sixième réunion des Parties à la Conférence, à La Haye, en avril 2002.

Lors du Sommet mondial sur le développement durable de 2002, à Johannesburg, Les chefs d’État et de gouvernements, considérant que la situation exigeait d’élaborer un vrai cadre international de gestion coopérative des ressources génétiques, appellent à négocier, dans le cadre de la CDB, en gardant à l’esprit les Lignes directrices de Bonn, un régime international pour promouvoir et garantir un partage juste et équitable des bienfaits découlant de l’utilisation des ressources génétiques. C’est pourquoi les pays membres signe une nouvelle déclaration et un plan d'application fixant pour 2010 l’objectif de ralentir le rythme actuel de déclin de la biodiversité et agir en faveur d'un régime international promouvant un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques afin d’assurer l’avancement du troisième objectif de la CDB.

La Conférence des Parties à la Convention a répondu à cette demande lors sa septième réunion. Ainsi, en 2004 la COP a confié à son Groupe de travail spécial à composition non limitée sur l’accès et le partage des avantages, le mandat de développer et de négocier un régime international d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages afin d’appliquer avec efficacité les articles 15 (sur l'Accès aux ressources) et l'article 8 j) (sur les Connaissances traditionnelles) de la Convention et ses trois objectifs, ce qu'il a fait pendant une durée de 6 ans. C’est dans ce contexte que des négociations sur l’Accès et le partage des ressources se sont tenues de 2004 à 2010 au sein de la CDB, pour aboutir à l'adoption du Protocole de Nagoya le 29 octobre 2010.

B. Une adoption controversée

Un Protocole, contrairement à une convention cadre qui n’a de caractère contraignant que si le pays transpose ses recommandations dans la législation nationale, implique un engagement des États. Ainsi, l’avancée des négociations portant sur l’établissement d’un régime d’accès et de partage des avantages a figé des oppositions caricaturales entre « Nord et Sud ».

De la part des pays du Nord, il y a eu refus de préjuger du format définitif d’un Protocole d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages. Ils considéraient que de reprendre en partie des instruments internationaux, contraignants ou non, comme les lignes directrices de Bonn suffisaient. Les pays du Nord mettaient l’accent sur le fait que chaque pays devait se doter d’une législation claire, simple, offrant une sécurité juridique. Ils préféraient que la question de l’APA soit réglée au niveau national, ce qui permettrait à chaque Etat d’élaborer un cadre qui corresponde bien à ses caractéristiques et besoins, plutôt que dans le cadre d’un dispositif international unique. Pour les pays du Nord, les obligations déjà présentes dans la CDB suffisent : les pays doivent, avant tout nouveau texte juridique, se mettre en conformité avec le premier paragraphe de l’article 15 de la CDB qui encadre l'accès aux ressources génétiques et plus précisément son paragraphe 2 qui s'engage à simplifier l’accès aux ressources génétiques sans discrimination entre demandeurs étrangers et nationaux. La question du partage équitable ne pouvant être dissociée de l’accès, il convient pour eux de régler d’abord les modalités de l’accès.

Les pays du Sud estimaient quant à eux, que la mise en place d’un cadre juridique ne doit pas se penser uniquement au moment de l’accès, ni faire reposer le contrôle uniquement sur les pays fournisseurs de ressources génétiques. Selon eux, les pays utilisateurs doivent aussi prendre leurs responsabilités, et se doter d’une législation assurant le contrôle et la traçabilité de la ressource jusqu’au dépôt de brevet et à la commercialisation du produit. Un Protocole semble dans cette logique être la solution pour contraindre les pays du Nord à prendre en compte cette question de l’APA. De plus, un tarissement du flux de ressources biologiques ferait obstacle à des avancées scientifiques, sources de profits pour les industries du Nord. Par exemple, la filière du médicament a un intérêt important à coopérer en matière de gestion des ressources génétiques, dans la mesure où la possibilité d’y accéder dans les pays du Sud ne saurait être décemment garantie qu’en contrepartie de l’adoption de bonnes pratiques en matière de coopération scientifique et de partage des bénéfices.

Le Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation dit également Protocole « APA » a finalement été adopté par la 10ème Conférence des nations unies sur la diversité biologique réunie en Sommet mondial à Nagoya, le 29 octobre 2010. D’après son article 4 alinéa 4, il « est l’instrument de l’application des dispositions de la Convention relatives à l’accès et au partage des avantages ». Le Protocole de Nagoya est un traité complémentaire de la CDB en ce qu'il fournit un cadre juridique transparent pour la mise en œuvre effective du troisième objectif de la CDB: le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques. Le Protocole de Nagoya est ainsi considéré comme le véritable premier accord sur la biodiversité qui doit permettre l'accès aux ressources génétiques issues de la biodiversité pour les industriels, tout en favorisant un partage des bénéfices avec les pays d'où sont issues les ressources concernées. En effet, juridiquement, un protocole est défini comme « une convention internationale jointe à un traité principal et portant sur des questions mineures » qui a une valeur juridique contraignante pour les États signataires.

Le Protocole était ouvert à signature du 2 février 2011 au 1er février 2012 au siège des Nations Unies à New York par les Parties à la Convention. Il a été signé par l'Union Européenne le 23 juin 2011 et la France l'a signé le 20 septembre 2011. Au total, 92 pays ont signés ce document mais à ce jour seulement 16 états l'ont ratifié dont aucun État membre de l’Union européenne. Au 11 juin 2013 : Gabon, Jordanie, Rwanda, Seychelles, Mexique, Laos, Inde, Fidji, Afrique du Sud, Albanie, Botsawana, Comores, Ethiopie, Ile Maurice, Etats Fédérés de Micronésie, Mongolie, Panama, Syrie. La signature n'entraîne aucune obligation juridique positive dans le cadre du Protocole de Nagoya. Cependant, elle indique l'intention de la Partie de prendre les mesures requises afin d'exprimer son consentement à être liée par le traité à une date ultérieure. Les Parties à la Convention ayant signé le Protocole de Nagoya peuvent dès lors prendre les mesures nécessaires au niveau national qui permettraient de déposer leurs instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation auprès du dépositaire. Ce nouveau cadre juridique contraignant a été présenté comme un apport fondamental dans le cadre de la mise en œuvre effective de l'APA par les États entrera en vigueur lorsque 50 états l'auront ratifié.

II. Le Protocole de Nagoya: un instrument effectif de protection des ressources naturelles

La législation APA est le "Pivot de la relation entre pays du Nord et du Sud au sein de la CDB, il doit notamment contribuer à mettre fin au pillage des ressources génétiques (biopiraterie) tout en garantissant un accès juridiquement sécurisé aux acteurs publics et privés de leur exploitation » (CHIAROLLA C., chercheur en gouvernance internationale de la biodiversité à l’Iddri), tels sont les objectifs du Protocole de Nagoya (A). Le financement étant également d’une importance considérable pour sa mise en œuvre (B).

A. Les objectifs du Protocole de Nagoya

Le Protocole tente de faire progresser considérablement le troisième objectif de la Convention en assurant une plus grande certitude juridique ainsi qu'une plus grande transparence entre les fournisseurs et les utilisateurs des ressources génétiques. La mise en place d'un cadre juridique précis permet de garantir l'effectivité du mécanisme d'APA par le biais d'obligations particulières visant à assurer d’une part, la conformité aux lois ou aux réglementations nationales de la Partie fournissant les ressources génétiques et d’autre part, aux obligations contractuelles précisées dans les communs accords sont d’importantes innovations du Protocole.

Outre la question de la transparence et de la stabilité juridique des conditions d’accès aux ressources génétiques, dont la responsabilité incombera aux parties, il s’agit d’instaurer un cadre légal international contraignant pour les entreprises prélevant à l’étranger des ressources génétiques et/ou des connaissances traditionnelles associées à ces ressources. En effet, le protocole prévoit deux avancées importantes :

L’accès aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques L’autorisation de l’accès aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques détenues par les communautés autochtones et locales améliorera la capacité de ces communautés à profiter de l’utilisation de leurs connaissances, de leurs innovations et de leurs pratiques. Pour commencer, avant d’envisager tout prélèvement, les utilisateurs potentiels de ressources génétiques devront solliciter le « consentement préalable donné en connaissance de cause » du pays qui fournit les ressources.

Le partage juste et équitable des avantages
Le Protocole permet de consolider les occasions de partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées à celles-ci. En effet, les entreprises devront partager avec les pays d’origine et les communautés locales, les profits financiers et les découvertes scientifiques obtenus grâce aux brevets développés à partir des prélèvements effectués.

Les conditions d’accès et d’utilisation de ces ressources seront négociées et convenues ex ante, « d’un commun accord ».

B. Le financement du Protocole de Nagoya

La Conférence des Parties s'est réunie à onze reprises. Sa dernière réunion s'est tenue à Hyberabad en Inde du 8 au 19 octobre 2012 afin de définir le mode de financement du troisième objectif de la CDB. La 11ème Conférence des Parties devait concrétiser et mettre en œuvre les ambitieuses décisions prises alors notamment, concernant la nécessité de dégager des moyens financiers concernant le financement de la CDB en matière d’APA. Plus particulièrement concernant, les objectifs et mécanismes pour identifier, collecter et acheminer des ressources financières en faveur des différentes politiques. Néanmoins, au terme de la Conférence, aucune décision n’a été prise pour ce qui concerne spécifiquement la lutte contre la biopiraterie.

A l’issue d’une âpre négociation, un accord sur le doublement des finances en faveur de la biodiversité d'ici à 2015 ainsi que le maintien au moins à ce niveau d’ici 2020, des flux financiers internationaux en faveur de la protection de la biodiversité dans les pays en développement, a été conclu. « Mais, dans la mesure où le montant n'a pas fait l'objet d'une évaluation consensuelle, l'engagement est moins solide qu'il ne le semble » (Sandrine Maljean-Dubois, RJC Environnement et développement durable, décembre 2012, n°12). Le Fonds mondial pour l’environnement (FEM) tient lieu de mécanisme financier pour la Convention et donc pour l’entrée en vigueur rapide et la mise en œuvre efficace du Protocole de Nagoya. Un projet de moyenne envergure d’un million d’Euros fournit un soutien à la ratification et à l’entrée en vigueur rapide du Protocole de Nagoya, par le biais d’une série d’activités de sensibilisation et de renforcement des capacités.

Le Nord et le Sud devront donc s'entendre sur les réglementations à mettre en place, car si leurs intérêts divergent ils devront à terme concourir à une même finalité de développement durable dans le respect de l'environnement. Si les pays du Sud détiennent l'essentiel des matériaux biologiques issus de la faune et de la flore, les seconds utilisent les molécules, extraits naturels et gènes par le biais des industries pharmaceutiques et cosmétiques