
La transposition de la directive européenne sur la responsabilité environnementale : analyse comparée entre la France et l’Italie
Par Graziella DODE
Avocat
Green Law Avocats
Posté le: 30/06/2013 23:21
Le régime de police administrative institué par la directive semble strictement retranscrit en droit interne (I). Mais les régimes français et italien ne semblent toutefois pas exempts d’écueils (II).
I. Un régime de police administrative strictement retranscrit en droit interne
L’Italie a eu un rôle précurseur dans la transposition de la directive européenne de 2004 car elle faisait partie des trois premiers pays à l’avoir transposé à la date butoir indiquée dans le texte législatif européen, soit le 30 avril 2007, contrairement à la France qui a fait l’objet d’une condamnation par la Cour de Justice des Communautés Européennes pour défaut de transposition d’une directive dans le délai prescrit (CJUE, Aff. C-330-08).
L’Italie a donné actuation à la directive européenne de 2004 au travers de la Sixième Partie du Texte Unique Environnemental du décret législatif n° 152 de 2006.
Au préalable, l’article 18, alinéa 1, de la loi n° 349 de 1986, qui prend modèle sur l’article 2043 du code civil sur la responsabilité civile, établissait que : dès lors que le dommage environnemental dérive d’un comportement volontaire ou involontaire de la part de son auteur, violant une disposition de loi de protection de l’environnement ou des mesures prises sur la base de cette loi, l’auteur du dommage doit en assumer la réparation envers l’Etat. L’indemnisation du dommage environnemental est ainsi reconnue, indépendamment de la violation d’autres droits tels que la propriété privée ou la santé. L’environnement devient un bien juridique protégé de manière autonome. La loi de 1986 établit une responsabilité pour faute concernant le dommage environnemental puisque doit avoir été violée précisément une loi relative à la protection de l’environnement.
La doctrine a critiqué ce choix du législateur car opter pour une responsabilité pour faute plutôt que pour une responsabilité objective se révèle difficilement applicable dans la pratique. En effet, dans le cas d’un dommage environnemental, il est déjà difficile de démontrer le lien de causalité entre l’activité et le dommage, mais cela l’est encore plus lorsqu’il s’agit pour la victime de démontrer la culpabilité de l’exploitant, notamment en matière probatoire lorsque le dommage environnemental est constaté tardivement. Le passage à un tel régime de responsabilité pour faute a donc été un pas en arrière pour l’Italie en ce qu’elle a rendu plus difficile pour les sujets légitimes la possibilité d’agir en justice contre les sociétés ayant causé un dommage à l’environnement. Le choix du législateur s’est révélé davantage en faveur de l’efficacité productive que de la protection de l’environnement. Dès lors qu’il y avait un élément subjectif dans l’infraction, ou en présence de la délivrance d’une autorisation administrative à la pollution, la société était dispensée de réparer le dommage environnemental qui était alors pris en charge par l’Etat (M. Comporti).
Toutefois, la loi de 1986 a été abrogée par le décret législatif n° 152 du 3 avril 2006 qui transpose la directive européenne de 2004 et établit un Code de l’environnement. Le dommage environnemental est alors discipliné à l’article 300 du présent décret. L’action en réparation du dommage environnemental est définie à l’article 305 du décret législatif de 2006, dans lequel on retrouve une procédure similaire à celle du système français entre l’exploitant et le préfet. Selon le texte italien, en cas de dommage environnemental, l’exploitant doit communiquer sans délai tous les aspects pertinents de la situation aux autorités étatiques compétentes désignées à l’article 304 du Code de l’environnement. En vertu de cet article, l’exploitant a l’obligation immédiate d’adopter d’une part, toutes les initiatives possibles pour contrôler, circonscrire, éliminer ou gérer d’une autre manière son activité, avec un effet immédiat, tout facteur de dommage, dans le but de prévenir ou limiter d’éventuels préjudices environnementaux ultérieurs ayant des effets nocifs pour la santé humaine ou des détériorations de services, et sur la base également des instructions spécifiques des autorités compétentes relativement aux mesures de prévention nécessaires à adopter ; d’autre part, d’adopter les nécessaires mesures de restauration prévues à l’article 306 du Code de l’environnement.
Le Ministère de l’environnement italien peut à tout moment user de sa compétence en matière de sauvegarde du patrimoine environnemental pour demander à l’opérateur de fournir des informations sur les dommages causés et sur les mesures par lui adoptées immédiatement après la survenance du dommage ; adopter ou ordonner à l’opérateur d’adopter, toutes les initiatives opportunes pour contrôler, circonscrire, éliminer ou gérer d’une autre manière, avec un effet immédiat, tout facteur du dommage ; ordonner à l’opérateur de prendre les mesures restauratrices nécessaires ; adopter lui-même lesdites mesures en cas d’inaction de la part de l’opérateur lui-même.
En France, la procédure est similaire. L’exploitant doit agir préventivement pour empêcher la réalisation du dommage, informer l’autorité compétente, limiter l’ampleur du dommage, et enfin réparer le dommage. Le préfet, lui, est chargé de faire exécuter ses obligations à l’exploitant. Si ce dernier n’est pas capable d’agir ou le refuse, le préfet peut prendre lui-même les mesures de prévention et de réparation nécessaires. Celui-ci émerge comme « le garant et le gardien des ressources naturelles concernées ». En revanche, en Italie, le décret législatif de 2006 (article 299) a attribué cette compétence au Ministère de l’environnement, au détriment des autorités régionales.
Enfin, les entités locales et les associations de protection de l’environnement trouvent un droit à agir dans l’action en réparation du dommage environnemental, en complément de l’action du Ministère de l’environnement qui peut agir au civil et au pénal pour l’indemnisation du dommage environnemental en vertu de l’article 311 du Code de l’environnement. Sur ce point, la discipline est semblable dans l’ordonnancement juridique français, dans lequel, on retrouve les mêmes intérêts à agir.
En France, la transposition de la directive s’est fait attendre. Elle est introduite dans l’ordre interne grâce à la loi n° 757 du 1er août 2008, dite loi Grenelle I, qui institue un régime de réparation du dommage écologique reposant sur l’exploitant. Faite dans la rapidité, elle sera complétée ensuite par la loi n° 788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Loi Grenelle II.
Si la loi française du 1er août 2008 institue un régime de réparation, selon Marcel Sousse, cette réparation se situe « en dehors des mécanismes de responsabilité », dans le sens sans doute où il s’agit davantage d’un régime de police administrative qui est institué.
Ainsi la France et l’Italie, en application de la directive européenne de 2004 relative à la responsabilité environnementale, ont un régime de police administrative similaire s’agissant de la prévention et de la réparation des dommages environnementaux. En substance, les lois de transposition reprennent les principes énoncés dans la directive. Finalement, on peut parler d’une unification des régimes de responsabilité italien et français.
Des différences existent pourtant entre ces deux régimes (II).
II. Une unification des régimes de responsabilité environnementale non absolue
Si les régimes de responsabilité environnementale français et italien semblent similaires en raison de leur origine communautaire, certaines disparités sont à relever.
La loi italienne de 2006 se différencie de la loi française sous plusieurs aspects. D’abord, elle ne reprend que partiellement le terme d’exploitant employée dans la loi communautaire originaire alors que le droit français la reprend à la lettre, soit comme « toute personne physique ou morale, privée ou publique, qui exerce ou contrôle une activité professionnelle ». En revanche, le décret législatif de 2006 ne transpose qu’en partie la définition du sujet responsable prévue dans la directive européenne de 2004. L’exploitant y est défini comme « toute personne, physique ou juridique, publique ou privée qui exerce ou contrôle une activité professionnelle ayant un caractère environnemental ». Ajoutant ce critère de « caractère environnemental », le nombre d’exploitants visés par la loi semble circonscrit.
Mais, surtout, la discipline de la responsabilité environnementale contenue dans le décret législatif de 2006 réclame les principes de la directive européenne de 2004 alors que celle-ci laissait à la charge du législateur national d’établir ses propres dispositions. Paradoxalement, le législateur italien ne reprend pas la sélection des activités établies par la directive communautaire. Ainsi, Giampaolo Rossi considère que les critères spécifiques de réparation du dommage environnemental n’ont pas été adéquatement repris par la norme italienne. Une telle situation a conduit à l’ouverture d’une procédure d’infraction de la part de la Commission européenne envers le Gouvernement italien et à la présentation d’une demande d’interprétation préjudicielle du Tribunal de Sicile à la Cour de justice du Luxembourg sur la compatibilité de la loi italienne à la loi communautaire. En réponse à la procédure d’infraction, le Gouvernement italien a introduit le décret législatif du 25 septembre 2009, n° 166, dans le cadre duquel, l’article 5-bis introduit de nouveaux critères pour la réparation du dommage environnemental. La norme italienne est désormais une photocopie parfaite de la directive européenne qui se cantonne à un régime de police administrative. Ainsi, reste encore manquante aujourd’hui en Italie une discipline propre à la responsabilité environnementale des sociétés.
En France, la loi Grenelle I insère un nouveau titre VI dans le Code de l’environnement sur la « Prévention et la réparation de certains dommages à l’environnement », au sein du titre Ier. Elle institue le régime de réparation du dommage écologique fondé sur l’exploitant qui doit prendre à sa charge sa réparation et met en œuvre un régime de police administrative. Jusqu’ici il n’y a donc aucune nouveauté par rapport à la loi italienne. Elle reprend aussi le régime de double responsabilité institué par la directive européenne.
Selon Marcel Sousse, la réparation du dommage écologique instituée par la loi Grenelle I se situe en dehors des mécanismes de la responsabilité. En dépit de son intitulé, la loi du 1er août 2008 ne consacrerait pas une nouvelle forme de responsabilité. Elle viserait à répondre à l’inadaptation de la responsabilité à réparer le préjudice écologique et créerait une nouvelle forme d’obligation de réparation du dommage écologique à travers le prisme de directive européenne qui consacre une réparation à trois niveaux.
Finalement, aussi bien dans le décret législatif de 2006 que dans la loi Grenelle I de 2008, « la forte présence de l’Etat dans la procédure de réparation du dommage écologique, et la préférence par le législateur d’une autorité administrative au juge pour accorder la réparation, rapproche le régime de responsabilité environnementale d’un régime de police administrative », indique le professeur.
Cette unification des lois françaises et italiennes s’explique évidemment par leur origine communautaire, ce qui justifie que ces lois soient des « photocopies » de la directive européenne de 2004 sur la responsabilité environnementale. Les nouveautés et les progrès viennent avec les lois suivantes, et notamment en France avec la loi Grenelle II n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l’environnement. Elle va plus loin que la loi Grenelle I en ce qu’elle instaure un mécanisme de responsabilité des sociétés-mères en faveur de leurs filiales et renforce l’obligation de transparence en matière environnementale et sociétale. Deux mécanismes importants s’agissant de la responsabilité environnementale des sociétés sont prévus par cette loi dans son titre relatif à la Gouvernance, lesquels sont absents dans le régime italien. En cela, bien que les régimes de police administrative soient peu appliqués tant en France qu’en Italie, démontrant leur insuffisance, la transposition française, certes plus tardive, apparaît plus approfondie.
Rappelons pour conclure que « la responsabilité environnementale doit être tout à la fois anticipation, précaution, sanction et sauvegarde des écosystèmes pour les générations futures », dixit Hans Jonas.