
Les conséquences juridiques du recours abusif au brevet sur les ressources naturelles
Par Julia BERKOWICZ
Juriste environnement
Cabinet d'avocats Allena
Posté le: 27/06/2013 10:58
I. La lutte contre la biopiraterie par l'annulation des brevets
Un moyen de lutte contre la biopiratere consiste pour les populations locales affectées par l’attribution d’un brevet dans le fait de faire valoir le caractère non innovateur du « produit » ou procédé breveté en vue d’obtenir l’annulation de l’acte de propriété accordé. Le brevet après son dépôt peut donc être annulé. Dans le cadre de la biopiraterie, le cas du « Neem » peut être cité.
Le « Neem » où le pillage d'un pesticide naturel
L’affaire du « Neem » de Margousier dit également « Neem » en Inde, est un arbre sacré, utilisé à de nombreuses fins depuis des siècles, notamment en médecine et en agriculture. Les paysans l’ont toujours utilisé contre les insectes.
Dans la nuit du 2 au 3 Décembre 1984, une usine de pesticides de la Carbide Union a dégagé un nuage mortel sur la ville de Bhopal situé en plein cœur de l’Inde. 3 000 personnes ont été tuées sur le coup. Depuis, 30 000 autres ont perdu la vie et on recense plus de 300 000 victimes à des degrés très divers. Après Bhopal, une campagne nationale à l'initiative de Vandana Shiva a été lancée sous le slogan : « Plus de Bhopals, plantez un Margousier ». En 1994, un article dans une revue scientifique intitulé « Une première mondiale : le premier biopesticide à base de Margousier » explicitait qu'un négociant en bois américain, Robert Larson, avait obtenu en 1985 un brevet sur une technique qui permettait d’extraire un agent antifongique du margousier en vue de la fabrication d’un pesticide. Il a vendu cette technique trois ans plus tard à une société multinationale américaine de produits chimiques « GRACE ».
Le principe actif dont faisait l'objet le brevet obtenu par la société était utilisé depuis longtemps par les villageois indiens. Il s’est avéré que la société GRACE s’était contentée en réalité de décrire son principe actif, ici la fonction insecticide. Le vif intérêt de la société GRACE pour la production du Neem a soulevé un tollé en Inde parmi les scientifiques, les agriculteurs ainsi que les politiques pour qui les résultats obtenus après des siècles d'expérimentation autochtone ne peuvent faire l'objet d'un brevet sans être qualifié de biopiraterie. Pour justifier de son brevet, Grace prétendait que les procédés d'extraction modernes constituaient bel et bien une invention. Le laboratoire pharmaceutique défendait d’une part, la mise au point d’une méthode permettant d’obtenir une composition stable du produit protégé susceptible de brevetabilité et d’autre part, que les savoirs traditionnels indiens sur le margousier n'avaient jamais fait l'objet d'une publication dans une revue scientifique, et qu'ils ne constituaient donc pas une antériorité faisant échec au dépôt d'un brevet pour défaut de nouveauté.
La société civile indienne s'est mobilisée et une action judiciaire du gouvernement indien a été intentée afin de faire annuler le brevet. L’office européen des brevets a finalement annulé le brevet le 8 mai 2005, non pas au motif de l’antériorité des savoirs traditionnels indiens concernant cette plante, mais pour défaut d’activité inventive. L’OEB affirme que « l’homme de métier savait au moment du dépôt de la demande, que l’utilisation d’un extrait d’huile de margousier mis en contact avec des champignons permettait de contrôler, voire de détruire ces champignons. Le cas du NEEM est à ce jour la plus importante victoire obtenue sur la biopiraterie par la société civile.
II La lutte contre la biopiraterie par la création de nouveaux instruments de protection
Face aux préoccupations grandissantes des populations autochtones à propos de l'utilisation de leur savoir traditionnel, les Nations unies ont confié à l'OMPI le soin de trouver une solution à la question de la protection juridique des savoirs traditionnels et des expressions du folklore dans le contexte de la propriété intellectuelle, ce qui s’est traduit par la création d’un Comité Intergouvernemental (A). La question de la mise en place de certificats-qualité pour les produits issus de la biodiversité et des savoirs traditionnels peut également s’avérer une solution potentielle (B).
A) Le Comité Intergouvernemental de l’OMPI
En 2001, elle a ainsi créé le Comité Intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (CIG). Ce comité réunit les représentants de chacun des gouvernements membres des Nations unies, des acteurs du monde associatif et non gouvernemental au sein du Comité intergouvernemental pour la protection des savoirs traditionnels, des ressources génétiques et des expressions culturelles traditionnelles. Les travaux de ce comité devraient conduire à l'adoption d'un instrument international juridiquement contraignant sui generis, assurant une protection adaptée aux détenteurs de connaissances traditionnelles. Ces travaux tendent à démontrer que les droits des communautés autochtones dont il est question pourraient s'apparenter au droit de la propriété intellectuelle et s'en inspirer.
Le principal débat actuel est celui de la prise en compte des connaissances traditionnelles par le système des brevets. Il a déjà été envisagé que les communautés détentrices de savoirs traditionnels utilisent des droits de propriété intellectuelle classiques, tels que le droit des brevets ou le droit des marques pour défendre leurs patrimoines immatériels. Le droit des marques, à travers l'emploi de marques collectives, a pu être utilisé avec succès par certaines communautés afin de promouvoir leur artisanat ou leur production agricole locale, parmi lesquelles les communautés du « Potatoe Park » au Pérou. Les marques collectives sont généralement utilisées par plusieurs producteurs individuels qui cherchent à mettre en valeur et bénéficier de la réputation globale de la production émanant de telle région ou de tel milieu professionnel. La marque collective peut ainsi être exploitée par toute personne respectant un règlement d’usage établi par le titulaire de l’enregistrement de la marque.
Cette question est donc en lien direct avec la lutte contre la biopiraterie. Le Comité a ainsi pris la décision en 2007 de sensibiliser toutes les administrations nationales chargées de délivrer des brevets sur la question de l'origine des connaissances dont il est fait état dans une demande de brevet. Elle a en effet constaté qu'il y avait d'importantes lacunes lorsqu'il s'agissait de savoir si une invention était nouvelle ou non. Il est en effet avéré que de nombreux brevets ont été accordés sur des inventions issues du savoir ancestral de communauté autochtone. Par conséquent, l'OMPI pointe du doigt l’octroi de brevets de mauvaise qualité ont pu être accordés par les administrations nationales en la matière. Toutefois, aucun consensus n'émerge des débats. L’aboutissement de cette réflexion n’aboutira pas avant 2014. Une simple proclamation ne suffira pas à rendre effectifs les mécanismes conventionnels du droit de la propriété intellectuelle. De nombreux auteurs s'accordent pour dire que le règlement de la question de la protection juridique des savoirs traditionnels devra forcément s'envisager au niveau international (COSTES C. La biopiraterie, les savoirs traditionnels et le droit, IKEWAN, n°67, 2008). Les pays du Nord seraient favorables à l'adoption d'une déclaration non contraignante, alors que les pays du Sud, portés par les États africains, seraient favorables à l'adoption d'un traité juridiquement contraignant pour les États signataires.
Les principaux offices de brevet dans le monde (États-Unis, Japon, Europe) devraient donc être prochainement invités à vérifier, lors du dépôt d'une demande de brevet portant sur la propriété d'une plante, que toutes les recherches sur l'état de la technique ont été effectuées, et devront notamment s'assurer qu'un savoir traditionnel ne vient pas antérioriser la nouveauté revendiquée par le demandeur de brevet. L'OMPI inciterait même les offices de propriété intellectuelle à se doter des bases de données nécessaires à la recherche de l'existence de connaissances traditionnelles antérieures sur telle ou telle plante. À ce stade, il ne s'agit pas de contraindre les administrations nationales chargées de la propriété intellectuelle mais simplement de donner une orientation éthique à leur action.
B) La mise en place de certificats-qualité des produits issus de la biodiversité et des savoirs traditionnels
En France, des instruments existent pour revaloriser des modes de production traditionnels liés aux savoir-faire locaux : ceux sont les appellations d’origine contrôlée (AOC). A l'échelle internationale, l’identification géographique constitue un signe distinctif similaire à l’AOC. Tenant compte des savoirs faire des communautés locales, des processus de production respectueux de l'environnement ainsi que des qualités particulières du produit dû à des facteurs humains présents dans le lieu d’origine du produit, le système de l’AOC pourrait être adapté à la protection des connaissances des communautés autochtones et locales.
L'appellation d'origine est définie comme « la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels ou humains ». L'AOC est donc un instrument de protection des produits dérivés de l'usage des savoirs traditionnels. Il présente des avantages pour les produits des populations locales et autochtones à travers une triple finalité : il permet la distinction du produit, de son originalité ainsi que de sa qualité, permettant ainsi que le savoir et le produit ne soient pas pillés par d’autres producteurs notamment à grande échelle. La protection du producteur dans son mode de production garantissant ainsi la sauvegarde des savoirs traditionnels et enfin la protection du consommateur qui sera certain d'acheter un produit distinct avec la qualité et les caractéristiques recherchées, aidant ainsi à la diffusion de l'existence du savoir (TEIXEIRA-MAZAUDOUX . A-N, Protection des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques: cadre juridique international, Thèse, Université de Limoges, 2003-2004 actualisée en 2007). Cet instrument pourrait ainsi être adopté par les communautés locales et autochtones pour protéger leurs produits et leurs procédés de production. L'AOC a un caractère collectif : elle appartient à tous les producteurs de l'aire ou du domaine déterminé en s'adaptant à la nature collective des savoirs traditionnels.
D’autre part, à l’échelle internationale, ce signe a été repris par l’indication géographique et définit par l’Accord sur les ADPIC comme « des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d’un membre ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ». Ainsi, afin de déterminer l’origine et la qualité du produit, l'indication géographique représente une voie alternative pour la survie des productions traditionnelles locales face au marché de grande échelle imposée par l'économie mondiale. L'indication de provenance fait figurer le nom géographique du pays, de la ville, de la région ou de la localité du territoire, devenu connu comme étant un centre d'extraction, de production ou de fabrication d'un produit déterminé ou de prestation d'un service déterminé. Par conséquent, la connaissance de l'origine géographique d'une matière biologique faisant l'objet d'une invention paraît essentielle pour concrétiser un processus permettant une meilleure reconnaissance des savoirs traditionnels. L’avantage de cet outil juridique est qu'il permet de contrôler le processus de production (cahier des charges) et donc d’assurer une certaine qualité du produit. En outre, l’indication géographique a l’avantage d’être une procédure élaborée localement et par le producteur, contrairement au système de certification contrôlé par le consommateur.
Néanmoins, à l’heure actuelle, les coûts de l’annulation d’un brevet pèse sur les populations détentrices des ressources génétiques alors qu'il appartiendrait au système des brevets d'y remédier. La contestation d'un brevet étant très coûteuse puisqu'il s'effectue par le biais d'une procédure judiciaire, les pays du Tiers-Monde ne peuvent pas assumer les frais de toutes les poursuites de cas de biopiraterie. Des organisations non gouvernementales interviennent dès lors afin de fournir aux populations les moyens de défense (avocats, résultats de tests scientifiques). D'autre part, après des années de procédures, les dégâts sur les équilibres sociaux et écologiques sont souvent irréparables.