
ICPE : point sur la théorie des droits acquis et l’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 30 janvier 2013
Par Laura KRZYWANIA
Juriste Environnement
Posté le: 25/05/2013 16:18
La réglementation des ICPE s’est construite de manière progressive en prenant en compte les dangers et les risques liés aux activités industrielles. Cette réglementation évolue donc sans cesse, notamment par le biais de changement de nomenclature mais aussi de prescriptions techniques prises par l’Etat afin de renforcer les conditions et modalités de fonctionnement.
En droit des ICPE, ce principe prévoit en effet, qu’en cas de modification de la réglementation, les installations soumises à autorisation, à enregistrement ou à déclaration peuvent sous certaines conditions continuer leur exploitation sans être considérés comme de nouveaux exploitants.
En effet, le législateur a cherché à concilier la sauvegarde de l’ordre public et la sécurité juridique des exploitants par le biais d’un régime d’exception prévu à l’article L. 513-1 du Code de l’environnement, le régime des droits acquis. Ce principe d’exception est issu notamment de plusieurs textes.
Il trouve notamment son origine dans le décret impérial du 25 octobre 1810 puis dans la loi du 19 décembre 1917 qui posa deux conditions de bénéfice des droits acquis : d’une part, la non modification notable de l’activité et d’autre part, la déclaration dans les 6 mois de l’administration.
Ensuite arriva la loi du 19 juillet 1976 qui intégra de nouvelles activités à la nomenclature suivit de la loi du 4 janvier 1993 qui unifia le régime. Cette loi de 1993 prévoit que pour les installations classées par décret après 1993, une absence de notification d'existence entraîne une déchéance des droits acquis pour toutes les installations, même celles créées avant le premier janvier 1977. De plus cette loi prévoit que le délai pour effectuer cette notification est allongé et fixé à un an. En effet, elle dispose que « les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises, en vertu d'un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation ou à déclaration peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation ou cette déclaration, à la seule condition que l'exploitant se soit déjà fait connaître du préfet ou se fasse connaître de lui dans l'année suivant la publication du décret. Les renseignements que l'exploitant doit transmettre au préfet ainsi que les mesures que celui-ci peut imposer afin de sauvegarder les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 sont précisés par décret en Conseil d'Etat. »
Classiquement, on définit les droits acquis, au regard du système de solution des conflits de lois dans le temps, comme étant les droits valablement entrés dans le patrimoine d’un individu sous l’empire d’une loi ancienne et qui ne peut plus être remis en cause par application d’une loi nouvelle (principe de non-rétroactivité de la loi).
Selon Michel Prieur, il s’agit "d’un privilège exorbitant du droit commun en matière de police, celui de pouvoir continuer à fonctionner sur la base d’un droit acquis d’antériorité par rapport à la loi nouvelle".
Les droits d'antériorité ont vocation à instituer, sur la base d'une distinction entre installations nouvelles et installations existantes, des avantages procéduraux aux exploitants qui exercent régulièrement leur activité avant la survenance de transformations juridiques, qu'elles aient trait à la réglementation des installations classées elle-même ou à la faculté d'action qui est reconnue aux tiers. Malgré le fait que ce principe de droit puisse créer des situations complexes mais également des risques de concurrence entre les entreprises, il continue à s’appliquer aux installations existantes.
Cependant dans la pratique, ces droits restent fragiles puisque leur disparition pourra être fréquemment constatée.
Toutefois, le Conseil d'Etat s’est penché récemment sur la question dans un arrêt du 30 janvier 2013, dans lequel l’exploitant se prévalait de son bénéfice du droit acquis. La particularité de cette affaire résidait dans le fait que l’installation était à la fois soumise à autorisation comme installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) et également comme établissement d'élevage d'animaux non domestiques.
En l'espèce, le préfet des Yvelines avait, par arrêté, mis en demeure l'exploitant d'une réserve zoologique de régulariser sa situation administrative en déposant dans un délai de trois mois un dossier de demande d'autorisation au titre, d'une part, de la législation des installations classées (ICPE) et, d'autre part, de la législation relative à la protection de la nature. La Cour administrative de Versailles a alors rendu un arrêt confirmatif, le 16 décembre 2010 dans lequel elle avait rejeté la demande de l'exploitant visant à faire annuler l'arrêté préfectoral. L’exploitant qui fit grief à l’arrêt de l’avoir débouté de sa demande se pourvu alors en cassation, devant le Conseil d'Etat.
La Cour d’appel avait jugé à tort que l'installation, était soumise à la loi du 19 décembre 1917 en raison d'un décret de nomenclature de 1973 et donc que le requérant ne pouvait se prévaloir du droit d'antériorité prévu par l'article 16 de la loi du 19 juillet 1976.
Le Conseil d’Etat a en effet considéré qu’en application de l'article L. 513-1 du code de l'environnement, « il appartient au juge administratif, pour se prononcer sur l'existence [de droits acquis], de rechercher si, au regard des règles alors en vigueur et compte tenu de la date de mise en service régulière de l'installation, l'exploitant peut se prévaloir, à la date à laquelle elle est entrée dans le champ de la législation relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes ou de celle relative aux installations classées pour la protection de l'environnement par l'effet d'une modification de la nomenclature, d'une situation juridiquement constituée le dispensant de solliciter l'autorisation ou de déposer la déclaration prévue par les dispositions régissant une telle installation ».
Le Conseil d’Etat qui casse sur ce point la décision de la Cour d’appel rappel au juge administratif la méthode de détermination de l'existence de droits acquis. La Haute juridiction annule en l'espèce, la décision d'appel qui avait empêché l'exploitant de la réserve l'existence de tels droits. Les juges d'appel avaient jugé à tort que l'installation, étant soumise à la loi du 19 décembre 1917 en raison d'un décret de nomenclature de 1973, ne pouvait se prévaloir du droit d'antériorité prévu par l'article 16 de la loi du 19 juillet 1976.
Concernant l'application de la législation sur la protection de la nature, l'article 6 de la loi du 10 juillet 1976, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 413-3 du code de l'environnement, prévoient que "l'ouverture des établissements d'élevage d'animaux d'espèces non domestiques, de vente, de location, de transit, ainsi que l'ouverture des établissements destinés à la présentation au public de spécimens vivants de la faune locale ou étrangère, doivent faire l'objet d'une autorisation". Ces dispositions s'appliquent également aux établissements existants au 14 juillet 1976, dont les exploitants étaient tenus, en application du décret du 25 novembre 1977, d'effectuer une déclaration au préfet dans les trois mois.
Le Conseil d'Etat précise que "ce délai (…) n'a pas été prescrit à peine de déchéance". Il annule donc la décision de la cour d'appel sur ce point également. Cette dernière avait en effet estimé, de manière erronée, que la requérante ne pouvait se prévaloir du simple régime déclaratoire de l'activité qu'elle exerçait avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 1976, du fait qu'elle n'avait pas effectué la déclaration de son activité au préfet dans le délai prescrit.