
La sécurité du télétravailleur
Par Maud TRIOULAIRE
Ingenieur prevention des risques
GDF SUEZ
Posté le: 23/05/2013 11:06
L’évolution de la législation relative au télétravail
La fin des années 1970 marque le début des expériences en matière de télétravail. Mais, à l’époque, la faiblesse de cette organisation était l’absence de bases légales, le télétravail n’était donc pas reconnu juridiquement. Une demande de réglementation justifiée mais ignorée, donna lieu, dans les années 1980, au développement du télétravail « noir ». Suite à la demande de la Commission européenne, les partenaires sociaux européens ont signé, le 16 juillet 2002, un Accord cadre européen sur le télétravail. Celui-ci définit les principaux éléments incorporés dans l’accord national interprofessionnel sur le télétravail du 19 juillet 2005 en France. Les apports phares de ces deux réglementations sont le volontariat, la contractualisation, la prise en charge des coûts par l’entreprise et la réversibilité du télétravail. Le télétravail est désormais contractuel. Ces quatre grands principes vont être repris par la loi du 22 mars 2012. Très critiquée, cette loi a néanmoins codifié les grandes lignes du télétravail dans le Code du travail, aux articles L 1222-9 à 1222-11, et lui a conféré une valeur juridique incontestable, là où les accords antérieurs pouvaient parfois manquer de crédibilité. Malgré tout, la loi du 22 mars 2012 présente quelques incomplétudes, l’accord national interprofessionnel de 2005 semble alors plus protecteur des salariés puisque plus abouti.
Les spécificités du télétravail
Il faut distinguer le télétravail du travail à domicile. Ce dernier est régi par les articles L 7412-1 et suivants du code du travail tandis que le télétravail est défini à l’article L 1222-9 du même code. Le télétravail se définit comme « une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière ». Deux points doivent être soulevés de cette définition pour que le télétravail soit qualifié : d’un point de vue juridique, il faut un contrat de travail entre l’employeur et le télétravailleur. Ce contrat doit avoir pour objet la réalisation d’un travail qui peut être exécuté soit dans les locaux de l’entreprise soit à l’extérieur de ceux-ci. D’un point de vue technique, le télétravail suppose l’utilisation des moyens technologiques d’information par le télétravailleur. Est désigné comme télétravailleur toute personne qui effectue un télétravail au sens de la définition donnée ci-dessus.
En application de l’article L1222-10 du Code du travail, l’employeur doit remplir toutes ses obligations de droit commun vis-à-vis des salariés. L’employeur est donc tenu de transmettre au télétravailleur la description du travail à réaliser, les conventions collectives applicables. Si cela ne semble pas suffisant, l’employeur peut conclure des accords spécifiques supplémentaires, relatifs au télétravail. Les télétravailleurs bénéficient également des mêmes droits collectifs que les travailleurs sur site, concernant notamment l’électorat et l’accès à la représentation du personnel ou syndicale. D’une manière générale, le télétravailleur dispose des mêmes droits et devoirs que le salarié travaillant dans les locaux de l’entreprise, cependant, le télétravail présente des particularités qui lui sont propres.
Le télétravail est volontaire pour le salarié et l’employeur. Ils peuvent conclure, dès l’embauche, un contrat intégrant le télétravail, ou plus tard, dans l’exécution du contrat. L’employeur et le salarié sont libres d’accepter ou de refuser la demande de télétravail. Pour le travailleur, le refus d’opter pour un télétravail n’est pas un motif de licenciement ou de modifications des conditions du contrat de travail. La décision de recourir au télétravail est révocable par l’employeur et par le salarié par accord individuel et/ou collectif.
Le contrat de travail doit prévoir les conditions de passage au télétravail mais également les conditions de retour au travail sur site. Par ailleurs, le télétravailleur bénéficie d’une priorité pour occuper un poste de travail sur site lorsque celui-ci correspond à ses compétences professionnelles.
L’ANI de 2005 prévoit enfin qu’il appartient à l’employeur de supporter tous les coûts relatifs au télétravail, comme par exemple le coût des abonnements, des communications, du matériel.
La sécurité du télétravailleur
Bien que le télétravail offre de nombreux avantages, comme le fait de pouvoir travailler chez soi, de réduire les temps de transports et par la même occasion le nombre d’accidents de trajet, certains risques sont néanmoins présents et doivent absolument être pris en compte par l’employeur.
La difficulté pour l’employeur est de faire en sorte que le télétravailleur ne se sente pas mis à l’écart dans l’entreprise. Il a donc pour objectif de traiter sur un même pied d’égalité le télétravailleur et le travailleur sur site, à tous les points de vue. Pour cela, le législateur fait peser sur l’employeur une obligation d’information dont le non respect emporterait des conséquences bien plus importantes sur le télétravailleur que sur le travailleur sur site. Une étude du pôle Actions Transversales de juillet 2012 a révélé qu’il ne pesait pas sur les télétravailleurs de risques manifestement différents de ceux pesant sur les salariés sur site, cependant, cette forme d’organisation peut augmenter la criticité de certains de ces risques. Néanmoins, il existe des risques spécifiques au télétravailleur, notamment en terme de risques psychosociaux, comme par exemple, un sentiment d’exclusion, d’augmentation du stress si le télétravailleur est confronté à des problèmes qu’il doit résoudre seul, la gestion du temps de travail, la souffrance liée à la monotonie. L’employeur doit prévenir l’isolement du télétravailleur en lui permettant de rencontrer ses collègues et d’avoir accès aux mêmes informations qu’eux.
L’employeur, les représentant des salariés et les autorités compétentes peuvent avoir accès au lieu de réalisation du télétravail. Lorsque le télétravail est exécuté au domicile, la difficulté pour l’employeur est de respecter la vie privée du télétravailleur, c’est pourquoi une notification préalable doit lui être transmise, son accord est indispensable. L’employeur peut mettre en place un moyen de surveillance dès lors qu’il est proportionné à l’objectif recherché.
Le stress du télétravailleur peut engager la responsabilité de l’employeur, soumis à une obligation de sécurité résultat, et la reconnaissance d’une faute inexcusable de celui-ci. En effet, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 8 novembre 2012, « qu'un employeur ne peut ignorer ou s'affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes » en s’appuyant sur le fait que la faute inexcusable de l’employeur est caractérisée « en cas de manquement à son obligation de sécurité de résultat, dès lors qu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures de prévention ou de protection nécessaires pour l'en préserver »
Peuvent également se développer des troubles musculo-squelettiques liés à un espace de travail inadapté ou encore des risques liés au travail sur écran, à l’environnement physique du télétravailleur.
En matière de protection des données du télétravailleur, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection des données utilisées et traitées dans le cadre professionnel par le télétravailleur. L’employeur a également un devoir d’information envers le télétravailleur, celui-ci doit lui transmettre toutes législations et règles de l’entreprises relatives à la protection des données. L’employeur l’informe enfin de toute les restrictions liées à l’usage des équipements et outils informatiques et des sanctions en cas de non respect.
En vertu de l’article L 1222-10, l’employeur doit donc respecter ses obligations générales en matière d’hygiène et de sécurité imposées à l’article L 4121-1 du Code du travail sans discrimination entre les travailleurs sur site et les télétravailleurs. « L’employeur est responsable de la protection de la santé et de la sécurité professionnelles du télétravailleur ». L’employeur doit donc vérifier que tous ses télétravailleurs sont bien sous surveillance médicale par le médecin du travail de l’entreprise. Il doit, pour cela, mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, de l’information et de formation des télétravailleurs. L’employeur doit également informer le télétravailleur de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail. Le télétravailleur est tenu de respecter cette politique. Concernant les formations mises en place par l’employeur, le télétravailleur a le même accès à celles-ci qu’un travailleur sur site. Par ailleurs, il peut recevoir une formation spécifique relative aux équipements techniques qu’il utilisera dans le cadre de son télétravail ainsi que sur les particularités de cette organisation. Une formation peut également être mise en place pour les collègues du télétravailleur afin de se familiariser avec le télétravail.
Concernant le temps de travail du télétravailleur, celui-ci fixe, en concertation avec l’employeur, les plages horaires pendant lesquelles celui-ci peut le contacter (article L 1222-10 al 5). L’objectif est évidemment de prévenir une intrusion de l’employeur dans la vie personnelle du télétravailleur mais également de lui éviter un dépassement d’horaires trop important.
Afin de prévenir ces risques, le législateur a imposé à l’employeur un entretien annuel portant sur les « conditions d’activité du salarié et sa charge de travail » (article L 1222-10 al 4). L’article L 4121-3 du Code du travail précise que « l’employeur évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs » et ce, dans chaque unité de travail. La circulaire du 18 avril 2002 précise en cela qu’une unité de travail doit être entendue au sens large, autrement dit le lieu du télétravail doit être considéré comme une unité de travail. Le bilan de cette évaluation des risques est consignée dans le document unique, il en est de même pour l’évaluation du lieu du télétravail.