
Semence et dépendance : retour sur la loi sur « les certificats d'obtention végétale »
Par Julia BERKOWICZ
Juriste environnement
Cabinet d'avocats Allena
Posté le: 04/04/2013 12:39
I HISTORIQUE LEGILSLATIF
A partir de 1922, à la suite d’une série de lois et décrets, une politique est faite au profit d'un marché captif de la semence : choix des semences hybrides (non-reproductibles), instauration d’un catalogue national…
En 1961, afin de répondre à une demande des obtenteurs, l'Union pour la protection des obtentions végétales (Upov) est née le 2 décembre 1961 avec la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales qui met en place un droit de propriété intellectuelle sur les semences : les Certificats d'obtention végétale (COV) qui offrent à son titulaire, comme l’ensemble des droits de propriété intellectuelle, un droit exclusif d’exploitation.
Tant au niveau international, européen, que français, l’appréciation et l’application des Cov se sont révélées très incertaines et hétérogènes.
Normalement, l’utilisation, sans autorisation du titulaire, d’une semence protégée par un droit de propriété intellectuelle est interdite. Néanmoins, les Cov ont introduit l’exception dite « de l’obtenteur », offrant la possibilité, à tout obtenteur d’utiliser une variété protégée par ce droit de propriété intellectuelle, afin de créer une nouvelle variété de graine suffisamment distincte de la première. Cette exception s'applique aussi aux agriculteurs sous les termes de « privilège » de l'agriculteur. Cette première convention Upov n'interdisait donc pas les semences de ferme.
La notion d'obtenteur recouvre la personne qui a produit par hasard ou par sélection volontaire un cultivar, c'est-à-dire, une plante suffisamment « stable », homogène et distincte dans son espèce des autres variants permettant de la considérer comme une variété nouvelle. Ainsi, le Cov accorde à l’obtenteur un droit exclusif sur la production et la commercialisation des semences de sa propre variété produite.
La France est venue interpréter de manière contraire cette Convention. En effet, la loi du 11 juin 1970 dispose que « toute utilisation du matériel de reproduction est soumise à autorisation de l'obtenteur ». Par conséquent, cette loi vient interdire l’utilisation des semences de fermes puisque ces dernières sont issus de semences certifiés, calibrées et traitées à l’aide d’un trieur mobile puis reproduites par les agriculteurs afin d’obtenir leurs propres semences.
En pratique, il revient à l’obtenteur de prouver que l’agriculteur a utilisé sa variété pour récupérer ses royalties, ce qui est difficile, car les caractères morphologiques des plantes définissant les COV sont très proches d’une variété à l’autre. D’autant plus, que les coûts et conditions probatoires relatifs à l’établissement de la preuve de la présence de la variété d’un obtenteur dans les champs des paysans sont si élevés que les agriculteurs continuent d’utiliser des variétés protéger par des Cov.
Au niveau international, en 1991, lors de la 4ème Conférence de l'Upov, la convention doit s'adapter aux nouvelles revendications sur les variétés protégées par un COV, notamment avec l’arrivée des OGM sur le marché, et vient étendre la protection à la reproduction de la variété, c'est à dire aux variétés dérivées de la variété protégée. En appliquant aux semences de ferme dérivée d’une variété protégée, la nouvelle protection a pour conséquence directe d’affaiblir l'exception de sélection. Pourtant, une exception demeurait, puisque les États pouvaient néanmoins autoriser l’utilisation de semence de ferme issue d’une variété protégée par un Cov, de manière dérogatoire et « sous réserve de la sauvegarde des intérêts légitimes de l'obtenteur ». La portée d’une telle disposition semble cependant limitée, notamment en raison du manque de précision de la notion « d’intérêt légitime de l’obtenteur ».
Enfin, sur le plan européen, est adopté parallèlement, le règlement 2100/94 CE du 27 juillet 1994 qui introduit dans l’ordre communautaire les dispositions de la convention de 1991. Le règlement introduit une dérogation pour 21 espèces de semences de ferme pour lesquelles qui sont autorisées en contrepartie du paiement de royalties versées aux obtenteurs sur l’ensemble du territoire européen. À cet égard, le règlement est donc clairement en contradiction avec la loi française.
II LA LOI SUR LES CERTIFICATS D’OBTENTION VEGETALE
Nous venons de le voir, jusqu'en 2011, la législation française était en contradiction avec le droit européen. En effet, conformément à la loi du 11 juillet 1970, et malgré la reproduction de toute semence de ferme par les paysans, l’utilisation de semences de ferme était interdite alors, alors que le droit communautaire avait introduit une dérogation pour 21 espèces de semences fermières. Ces 21 espèces autorisées sont énoncées à l’article 14 du règlement communautaire 2100/94 et concernent les plantes fourragères (pois chiche), les céréales, la pomme de terre ainsi que les plantes oléagineuses et à fibres (colza).
La loi du 28 novembre 2011 vient ainsi mettre en conformité le droit français à la législation européenne en autorisant les 21 espèces semences de ferme de variétés établis dans le règlement de 1994, en contrepartie de royalties versées aux obtenteurs. Au titre de cette loi, les paysans qui ne la respecteront pas seront des contrefacteurs et, en application des règles de procédure relatives au droit de la propriété intellectuelle, leur récolte ainsi que les produits de leur récolte pourront être saisie.
Ce système d'interdiction s'applique uniquement aux variétés protégées par des certificats d'obtention végétale. Le Cov présente des avantages et inconvénients qu’il convient de préciser afin de comprendre les enjeux que présente cette loi.
Cette législation fait débat dans la pratique, et ce pour plusieurs raisons. D’un côté, les Cov visent à protéger le travail de l'obtenteur sur une longue durée, afin de leur garantir des revenus, ce qui permet de les inciter à financer des travaux dits « d’amélioration végétale » se traduisant par l'obtention de variétés nouvelles améliorées. Un Cov constitue donc à la fois, la rémunération du travail accompli, et un moyen d’inciter à l’innovation.
D’un autre côté, d’aucuns considèrent que les modalités de protection par le Cov ne tiennent pas compte du travail de sélection des agriculteurs, et encouragent le brevetage, la privatisation du vivant, ainsi que le développement de variétés hybrides (non reproductibles et, mettant les agriculteurs dans une situation de dépendance vis à vis des semenciers)
Pour beaucoup, une loi sur les Cov était pourtant nécessaire afin de protéger les entreprises contre les menaces du brevet et afin de rémunérer la recherche car si, en Europe, seuls les procédés d'obtention et la fonction des gènes des plantes sont brevetables, tel n’est pas le cas aux États Unis où les variétés végétales peuvent être brevetées.
III AVENIR DE LA LOI SUR LES COV
Plus d'un an après la loi COV, de nombreuses réactions venant à la fois du milieu paysan, d'association de défense de l'environnement mais également des politiques sont vives. On peut à ce titre citer le Collectif « Semons la biodiversité » qui regroupe de nombreuses associations de défense de l’environnement qui a lancé une campagne visant à abroger la loi sur les COV et à y inscrire les droits des agriculteurs sur leur semence.